L’ histoire est écrite par les vainqueurs ; cependant, les passionnés de musique et les journalistes tentent parfois de réparer les plus criantes injustices, de donner un peu de place aux perdants magnifiques. Parmi les plus connus, Odessey And Oracle est un cas d’école : un groupe qui part en lambeaux, un label guère motivé à pousser le disque, un album peut-être trop mignon pour une époque marquée par la révolution sociale et culturelle (Mai 68, l’opposition à la guerre du Viêt-Nam). La trajectoire de The Zombies aurait pu être très différente. Groupe surdoué originaire de St Albans, à 35 km de Londres, la carrière de la formation démarre sous des cieux cléments. Après avoir gagné un concours de talents, le groupe signe avec le label Decca.
Au milieu des années soixante, The Zombies enregistrent des classiques de la British Invasion tels que She’s Not There (1964) et Tell Her No (1965). La singularité de ces chansons dénote parmi la production britannique d’alors, qu’elles viennent des Beatles, Rolling Stones, Kinks, et autre Dave Clark Five. Les Zombies sont des esthètes. La suite est cependant chaotique, après Begin Here (1965), le premier album de la formation, les Britanniques tentent, sans succès de retrouver le succès des charts. Pendant deux ans, le groupe survit tant bien que mal, subissant la concurrence des autres formations du cru. En 1967, ils signent chez CBS qui leur accordent un chétif budget pour enregistrer à Abbey Road, Odessey and Oracle. De l’erreur typographique sur la pochette du dessinateur Terry Quirk, en passant par les galères de mixage (le groupe doit mettre la main au portefeuille pour fournir un mixage stéréo au label), le disque naît dans l’adversité. Le groupe n’y survit d’ailleurs pas. CBS publie l’album en catimini en Angleterre en 1968 et Clive Davis (le boss du label) n’envisage pas de sortie aux États-Unis. Al Kooper, musicien américain de studio (pour Bob Dylan) et producteur, découvre le disque lors d’un ses voyages outre-Atlantique. Grâce à sa persévérance, l’album est finalement édité aux États-Unis sur Date, un sous label de CBS. Après des débuts timides, Time of The Season, la dernière chanson d’Odessey and Oracle, s’impose progressivement à la troisième place du top américain en 1969. Ce succès post-mortem ne redonne pas vie à The Zombies, ni n’aide à sa réhabilitation dans son pays natal. Les musiciens partent donc dans de nouvelles aventures (Argent, un groupe de rock progressif pour Rod Argent, des très beaux disques solos pour le chanteur Colin Blunstone). L’histoire aurait pu en rester là, mais le disque a acquis, avec les années, le statut d’album culte. Les passionnés ont eu raison d’insister : ce disque est une merveille. Paru un peu trop tard, à une période où les modes se déjouent en quelques mois, Odessey and Oracle est l’un des plus beaux long jeu de la pop des années soixante, à quelques encablures seulement des Beatles ou Beach Boys. Il aurait certainement été mieux accueilli entre Nights in White Satin et A Whiter Shade of Pale en 1967. Il est difficile de décrire à quel point ces douze chansons sont ravissantes. Elles forment un ensemble cohérent et concis, une bacchanale de mélodies sucrées et arrangées délicatement. Nous y trouvons le mellotron à profusion, idéal support aux appétences baroques des Britanniques. Ce substitut à un véritable orchestre offre paradoxalement une identité forte à l’album. Odessey and Oracle est le genre de disque à écouter d’une traite, quitte à frôler le diabète à la sortie.
Il faut ouvrir les vannes et se laisser envahir par la sincérité du propos, de Care of Cell 44 jusqu’à Time of The Season. Écrites en alternance par Rod Argent (clavier) et Chris White (bassiste), certaines chansons auraient méritées un peu plus de temps en studio (les voix de Butcher’s Tale) mais elles participent à créer un ensemble beau et pur. A Rose for Emily est un trésor à chérir et partager avec ceux que vous aimez. Il en est de même pour la délicate Brief Candles ou la plus détendue Beachwood Park. L’affaire se conclut sur l’intemporel Time of The Season. Zeitgeist de ces années là, la chanson offre un clin d’œil à Summertime de George Gershwin (extrait de Porgy & Bess), un morceau emblématique du début de carrière de The Zombies. Une manière de boucler l’histoire ? Si les ventes furent modestes, Odessey and Oracle continue d’inspirer et créer des vocations. Cinquante ans plus tard, le charme d’Odessey and Oracle fonctionne encore parfaitement. Dénué de posture rock, doté de mélodies élégantes et fluides, il constitue un horizon pour beaucoup de ceux qui l’ont écouté.
Bravo et merci, ce texte dit tout. C’est un phénomène fantastique (et réconfortant) que de voir le temps rendre justice à des œuvres dont l’appréciation se sera faite dans un premier temps seulement à l’aulne d’un succès ou d’un insuccès commercial. Que serait-il resté de Pet Sounds, sinon ? Odessey And Oracle a pour moi la même portée – tous anachronismes géographiques, esthétiques et culturels mis à part – au-regard de la pop anglaise que le premier album du Velvet Underground : une influence considérable et pérenne. A redécouvrir, les enregistrements ultérieurs, jamais publiés en leur temps, (on retrouve par exemple « Smoky Day » ou « She Loves The Way They Love Her » sur le premier LP solo de Colin Blunstone) et qui constituent en somme un album, certes pas du niveau de Odessey And Oracle, mais de grande tenue néanmoins. Passionnant également, les collaborations Rod Argent / Chris White qui suivirent immédiatement la séparation du groupe, ainsi que les aventures de Neil McArthur a.k.a. Colin Blunstone en solo incognito !
Merci pour la justesse de cet article. Un album à ranger entre « Pet Sounds » pour l’inspiration et « Kaleidoscope » pour le bide, sur l’étagère des trésors pop
(« Tangerine Dream » de Kaleidoscope, je corrige, ce n’est pas un album éponyme)