Qui sont les Posies à l’heure où sort leur troisième album ? Une sorte d’anomalie dans un courant et une époque qui surfe sur la révolution Nevermind pour ne surtout pas trier le bon grain de l’ivraie. Il y a trop d’argent et de drogues en jeu. On vous passera la liste des containers entiers de la déchetterie que furent aussi ces années-là, mais s’il est bien un disque à réécouter sans a priori en gardant le souvenir d’une fanitude commencée là et largement confirmée depuis (Blood/Candy en 2010, chaudement conseillé), c’est bien Frosting On The Beater, véritable tour de force power pop d’une rentrée 1993 qui en comptait pourtant d’autres, ramenant le sceptre et le spectre de Big Star aux nouvelles générations, le récemment réévalué Thirteen du Teenage Fanclub en tête.Pour commencer, les Posies ne sont pas de Seattle mais bien de Bellingham, toujours dans l’état de Washington, mais à quelques encablures de Vancouver (Canada). Et bien qu’ils furent alors sur le même label que Nirvana (Geffen), ils iront toujours, de par leur formidable propension à créer des monuments pop de haute volée et par une ambition revue à la baisse du fait d’une certaine fatigue découlant d’un succès mainstream un peu inattendu, à contre-courant des canons de l’époque. Mais pour le coup (de canon) le groupe de Jon Auer et Ken Stringfellow dispose d’une force de frappe inégalable à ce stade, avec pas moins de quatre hit singles en or massif (Dream All Day, Solar Sister, Definite Door et le très moqueur Flavor Of The Month) qui illuminent un album remarquablement agencé puisqu’il arrive aussi à négocier des zones d’ombres (Burn And Shine, How She Lied By Living, Coming Right Along) dont l’insondable noirceur brillent peut être encore plus fort aujourd’hui.
La réédition Deluxe (double CD ou double Lp, c’est au choix) complète pas moins d’une trentaine de bonus, allant des faces B d’époque à des démos plutôt touchantes quant on connaît le tour de force que constitue la production de Don Fleming sur l’album. On n’oubliera jamais le souffle d’une interview parue à l’époque dans Les Inrockuptibles, où les intéressés ne laissaient aucun doute sur le fait que les disques de Big Star (dont ils assureront, en dévoués et patients spadassins, la reformation à venir) et d’XTC avaient changé leurs vies pour mieux illuminer la nôtre. Comme quoi, on pouvait allier une certaine esthétique de la pop éternelle (The Hollies, Todd Rundgren, Cheap Trick) et les plus beaux clichés du rock, les concerts fulgurants que l’on vit à l’époque le prouvèrent, dans ces années de plomb où le jeunisme et le marketing eurent vite fait de mettre tous le monde (ou presque) au pas, si ce n’est à la morgue. Groupe supérieur n’ayant jamais abandonné (ou alors temporairement) la partie – et c’est encore plus flagrant en réécoutant ce désormais classique absolu, The Posies restent une merveilleuse anomalie, unique et flamboyante.
PS : Omnivore réédite aussi dans la foulée et toujours de manière exhaustive l’album précedent Dear 23 (1990) et celui d’après, Amazing Disgrace (1996). C’est beaucoup, ce n’est pas trop.