Il est des disques dont on ne se souvient pas forcement sous la forme de classique en devenir, ni même d’une excitation mémorable au moment de leur sortie. Seventeen Stars des Montgolfier Brothers fait définitivement partie de cette catégorie. Pas réécouté depuis sa sortie, presque oublié depuis vingt ans. Le réentendre, au-delà de sa beauté formelle, fait appel à des souvenirs, ou plus justement à des souvenirs de souvenirs, d’instants fugaces ou de sentiments enfouis dont on se met à chercher le sens, à retrouver la trace.
On est persuadé d’avoir eu un ami qui mettait souvent ce disque pour s’endormir. Et on finissait souvent par s’endormir ensemble. Ou alors était-ce une amie et nous ne dormions jamais ensemble, mais la pensée coupable voire illégale de l’autre ne facilitait en rien le sommeil. Cet(te) ami(e) n’était pas nous, vu qu’à l’époque on était plutôt en guerre contre nous-mêmes et qu’un truc aussi délicat nous aurait franchement paru un peu trop léger pour nous endormir*. Mais on est sûr que ce disque à été un partage tardif entre insomniaques patentés. Le genre d’émotion qui revient de manière plus ou moins intacte, à l’écoute de cette troisième et dernière réédition. Car ce disque a une (petite) histoire.
Publié par Vespertine, label mancunien qui eut son petit moment à la mode (Quigley**, Gnac, The Bitter Springs, Bear, Lazerboy) avant le passage au nouveau millénaire en mai 1999, il est l’alliance des deux premiers noms de la liste, Roger Quigley (Quigley, At Swim Two Birds) et Mark Tranmer (Gnac, St. Christopher), et sort dans une relative indifférence.
Mais Seventeen Stars n’en restera pas là et verra son cercle d’amateurs s’élargir, car rien moins qu’Alan Mc Gee décide de le represser un an plus tard sous les frondaisons de baptême de son label Poptones, ce nouveau départ après le sabordage de Creation. Car Mc Gee n’en démord pas (même aujourd’hui) et entre, une fois de plus en croisade. Ces chansons douloureuses mais discrètes sont pour lui ce qui se rapproche le plus de l’exigence intellectuelle et artistique d’un label comme Factory, n’hésite pas à comparer le groupe de Salford à un « Durutti Column avec Ian Curtis au chant » (superbe idée rétrospectivement). Il y voit surtout une manière de se venger de l’insuccès rageant et inexplicable (quoique) du plus beau groupe jamais signé sur Creation, Felt. L’histoire ne lui donnera pas raison, puisque malgré d’excellentes chroniques et un petit succès d’estime, Seventeen Stars (contrairement à Seventeen Seconds) tombera peu à peu au pire dans l’oubli, au mieux dans la case des grands disques de peine, qu’on se repasse parfois pour confirmer un début de vague à l’âme. Et après deux albums de plus***, les Montgolfier Brothers ne seront plus.
On ne remerciera donc jamais assez John Kertland et Caroline True Records de le rééditer aujourd’hui, en édition limitée certes (300 exemplaires, vinyle only, pas de cd, pas de digital download), mais quitte à raviver des souvenirs trébuchants, autant que ce soit fait proprement.
Du Hood unplugged, du Durutti Column avec un chanteur en (relative) bonne santé, du Talk Talk minimaliste (sic) et une force cinématographique qui propulse ce disque de peu vers la voie lactée dans une magnifique quoique rigoureuse désolation. On y cite aussi Michel Magne et François De Roubaix, Gescom, Erik Satie, et les plus belles plages instrumentales de Felt, un disque déjà suranné au moment de sa sortie et dont les teintes sépia ont finalement pris un beau cachet avec le passage des années. Pour tout ceux qui comme moi on eu la (mal)chance souveraine de découvrir les mélopées glaciaires de Vini Reilly au beau milieu du mois d’août, l’effet est similaire. La canicule peut bien s’installer durablement, la plupart de nous peuvent y passer, du moment que c’est ce disque qui joue dans l’obscurité forcée de l’après-midi, comme un vagabond instruit, comme une brise fantomatique, comme un séisme minimal. C’est tellement prodigieux d’intimité que ça en (re)devient universel, pour un instant. Un instant toujours précieux.
*Note pour plus tard: penser à faire une liste un peu instruite des meilleurs disques du sommeil au-delà de Felt, Labradford, Spacemen 3, Bark Psychosis, Talk Talk, Hood et sans oublier Robert Wyatt, cette fois.
** dont l’excellent label tourangeau Acetone se fera le relai en nos terres.
*** The World Is Flat (Poptones, 2002), All My Bad Thoughts (Vespertine & Son, 2005)
etienne greib ti amo
marina de laurentis paris 10eme