Le terme de perfection pop figure depuis trop longtemps au registre des poncifs de la critique musicale pour que l’on songe à l’utiliser sans quelques précautions réticentes. D’autant plus que, la plupart du temps, il en est venu à qualifier des œuvres où la recherche pointilleuse de la reconstitution historique et le respect compassé des formats canoniques de la chanson finissent par étouffer les velléités d’expression personnelle et spontanée. Nulle trace de ce type de dévotion stérile à un âge d’or supposé sur ce premier album de The Last Detail, porté par le souffle combiné de deux inspirations complémentaires et profondément vivaces. Le sentiment fugace de côtoyer ici une sorte d’accomplissement absolu tient bien davantage à la cohérence esthétique d’un disque dépourvu de la moindre faiblesse : des compositions en passant par les arrangements, jusqu’à l’attention portée à l’illustration de couverture signée Julian House (Broadcast, Jacco Gardner) et même au communiqué de presse rédigé par les bons soins d’Harvey Williams (The Field Mice, Blueboy). Cette œuvre d’art pas tout à fait totale – on ignore encore si l’aventure se prolongera sur scène – mais totalement réussie est née de la rencontre inespérée entre Erin Moran et Mehdi Zannad. Disparue d’à peu près tous les radars depuis plus d’une décennie, la première nommée avait signé en 2004 sous le pseudonyme d’A Girl Called Eddy l’une de ces premières œuvres dont le retentissement auprès de quelques auditeurs privilégiés est mystérieusement demeuré inversement proportionnel à l’ampleur de la trace inscrite dans les bilans financiers de sa maison de disques – Anti- en l’occurrence. Produite par Richard Hawley, cette merveille de pop romantique avait instantanément révélé l’immense talent d’auteur et d’interprète de celle que l’on aurait volontiers propulsée au rang de Jackie DeShannon ou de Laura Nyro du XXIème siècle. Le coup de foudre était, hélas, resté jusqu’ici sans véritable lendemain… jusqu’à l’annonce quasi-simultanée d’une suite à paraître en 2019 et de cette collaboration transatlantique avec l’un de ses fans français, Zannad donc. Justement reconnu pour les qualités de compositeur et d’arrangeur qu’il a souvent dévoilées sous le nom de Fugu, ce dernier a su pour l’occasion recruter quelques collaborateurs de renoms sur la scène hexagonale : Xavier Boyer et Pedro Resende (Tahiti 80), Olivier Marguerit alias O (Syd Matters) ou Julien Barbagallo. Tous se mettent au service des édifices sonores complexes érigés par cet expert de l’architecture. Et entre Moran et Zannad, c’est peu dire que le courant passe. Réuni autour d’une passion partagée pour les mélodies et pour quelques références incontestables mais jamais envahissantes, le duo condense en une trentaine de minutes une série de treize titres mélancoliques et lumineux. Il est presque impossible d’extraire de cet ensemble excellent les fragments les plus marquants. A peine les premières écoutes se sont-elles, d’ailleurs, écoulées que l’on en ressort convaincu que les sélections à venir varieront au gré des saisons et des états d’âme – toujours un bon signe. Pour affronter les premiers jours de la dépression automnale, on se réfugiera ainsi dans les délicatesses moelleuses de You’re Not Mine et des ses contre-chants beaux à ressusciter les feuilles mortes. On restera ensuite longtemps ébaubi par le monumental Lazy qui dépoussière le suaire de Dusty à coup de pulsations cuivrées. Et qui s’achève ensuite, de façon étonnamment harmonieuse, sur une digression de piano néo-classique qui n’est pas sans rappeler, surtout lorsqu’elle surgit sous les doigts de l’amateur éclairé de power-pop qu’est Zannad, le faste flamboyant des jeunes années d’Eric Carmen, lorsque que l’audace l’emportait encore sur la pompe et que les mesures du concerto n°2 de Rachmaninov s’immisçaient dans cette grande chanson qu’était, à l’origine, All By Myself, avant que les divas ne la ruinent. Une évocation partielle conduit forcément à négliger d’autres fulgurances remarquables – l’incursion sur les terres de Saint Etienne avec Talk To Me, la légèreté gracieuse de Fun Fair ou de Die Cast et de sa trompette à la Love. Si la somme des parties est donc infiniment savoureuse, le Tout est absolument indispensable.
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Lazy c’est la version en anglais de « Paresse », paru sur l’album Fugue de Mehdi Zannad, un des meilleurs morceaux de son album.