[Lamballe]
Ce train me ramène à Paris, après trois semaines passées dans le Finistère. Au début, cela ne devait être qu’une semaine, puis le séjour s’est prolongé, deux fois. Le temps passait plutôt vite là bas, ce qui m’allait bien. Trois semaines écoulées, c’est trois semaines de moins jusqu’à ce que les choses s’arrangent – car elles s’arrangeront. J’ai lancé cet EP à la gare de Lamballe, sur recommandation de Spotify.
C’est une jeune femme qui en entonne l’introduction. Je ne l’écoute que d’une oreille, perturbée par Camille, notre cheffe de bord qui nous rappelle, au micro, que le masque doit nous couvrir du nez au menton. Face the World démarre avec cet enchaînement d’accords très basique, on a déjà entendu le même chez The Clean, c’est certain, n’empêche que cela fonctionne. Le chanteur a cette voix à la Jeffrey Lewis, qui pousse à l’écoute des paroles. Je ne comprends pas tout, mais les bribes que j’en tire me suffisent : What am I doing here ?, Why do I do this everyday ?. La fille de l’introduction le rejoint sur le refrain : I don’t want to face the world again, lancent-ils ensemble. Moi aussi, je laisserais bien le monde tourner sans moi quelques semaines de plus.
[Rennes]
La mélancolie est encore plus prégnante sur le titre suivant, Life Isn’t Here. Les fins de phrases ne sont pas toujours intelligibles ; la voix du garçon est aspirée, comme si l’énergie lui manquait. The life isn’t here, it’s over there. Ce sentiment de vivre à côté de sa vie. Il raconte qu’il ne laissera pas passer un seul jour de plus dans cette situation, il crie qu’il trouvera des solutions. La chanson s’arrête avant qu’il ne les partage ; dommage. En attendant, je ne suis pas assise à la bonne place et une foule s’amasse sur le quai, gare de Rennes. Let Them In démarre en même temps que les voyageurs s’infiltrent dans les wagons. De nouveau, une poignée d’accords, répétés en boucle. Les solos sont un peu faux, la voix en détresse, tout est brinquebalant, comme si le titre avait été enregistré d’une traite, en concert. Un concert qui aurait eu lieu dans un sous-sol exigu, trop peuplé, par une soirée d’été trop chaude. C’est réel et c’est beau. Je relance le morceau. Coup de chance, personne n’a l’air de vouloir me déloger. Vient le dernier titre. Nothin’ changed, except the time of day. Je me dis que cela fait un moment que plus rien ne change. Ce disque nourrit mon cynisme, mais il me réconforte aussi : je ne suis pas seule à avoir la sensation de laisser couler la vie, ces temps-ci. Le soleil commence à se coucher. Il est bientôt 20 heures, certains déballent leurs pique-niques. Je devrais faire de même.