Simon Gallup a décidé de quitter The Cure, après plus de quarante ans passés aux côtés de son frère d’armes Robert Smith. On a beau savoir que tout finit par finir, on ne peut pas s’empêcher d’avoir le cœur serré. Le mythique bassiste était, selon les mots de Robert Smith, son « meilleur ami » et le « cœur du groupe en live ». On imagine donc difficilement The Cure continuer sans lui sans perdre une partie de son âme. On se consolera en se disant qu’après une carrière aussi bien remplie, ce départ tardif n’est pas la fin du monde. On peut même se réjouir d’avoir pu profiter aussi longtemps du talent d’un musicien de l’envergure de Gallup. Les morceaux sur lesquels il se sera distingué sont innombrables, mais pour ma part, si je ne devais garder qu’un seul disque de The Cure pour la qualité exceptionnelle des performances de Simon Gallup à la basse, ce serait le live Play For Today. Pour tout dire, même s’il ne s’agit d’un disque non-officiel, je trouve que c’est l’enregistrement le plus impressionnant du groupe, à tout point de vue. Sorti en 1990, il s’agit de la captation d’un concert donné le 24 mai 1980 à Arnheim en aux Pays-Bas, au Stokvishal, lieu de spectacle qui a été démoli depuis. À cette époque, The Cure n’a sorti que deux albums (Three Imaginary Boys et Seventeen Seconds) et une compilation (Boys Don’t Cry). Simon Gallup a remplacé Michael Dempsey à la basse et Matthieu Hartley a intégré le groupe en assurant les parties de clavier. Le quatuor n’a pas encore adopté son esthétique vestimentaire gothique et se contente d’un look plus sobre typique des formations post-punk de cette époque (la couverture de Play For Today est en ce sens trompeuse et anachronique). Robert Smith et Laurence Tolhurst ont 21 ans, Simon Gallup et Matthieu Hartley n’en ont que 20.
Au cours de la seule année 1980, qui sera aussi celle de sa première tournée US, le groupe aura donné cent vingt-trois concerts, partageant parfois l’affiche avec The Fall, Josef K, Section 25 ou Blondie, excusez du peu. La setlist du concert d’Arnheim reprend donc les meilleurs titres des premiers disques, mais avec cette énergie impressionnante dégagée par le groupe en live, à côté desquelles les versions studio paressent bien sages. On peut d’ailleurs faire un parallèle entre ce concert de Cure et le live aux Bains Douches de Joy Division en 1979, ou encore Early Warning de The Gun Club, autant d’enregistrements qui montrent la force que l’interprétation en public peut prêter à des chansons. Sur les morceaux rapides comme Play For Today, Jumpin’ Someone Else’s Train ou Grinding Halt, les membres de The Cure donnent l’impression de jouer comme si leur vie en dépendait, avec une urgence et une maîtrise impressionnantes, tandis que sur les titres plus lents comme M, At Night ou In Your House, le groupe s’élève à un rare degré d’intensité. On retrouve aussi évidemment les tubes Fire in Cairo, Boys Don’t Cry ou Killing an Arab joués avec une fraîcheur réjouissante, sans oublier bien sûr l’indépassable A Forest.
Le charme de cet enregistrement vient d’une alchimie particulièrement heureuse entre la basse très appuyée – au son énorme – de Simon Gallup, la batterie au taquet d’un Lol agrémentée d’un pad électronique plein d’effets, la guitare et la voix parfaitement maîtrisées de Robert Smith et les parties de claviers minimalistes exécutées par Matthieu Hartley sur un Roland RS-09 au son crépusculaire terriblement stylé. Il en ressort un mélange paradoxal d’authenticité et d’artifice du meilleur effet, né du mariage réussi entre le côté brut du post-punk avec les sonorités plus modernes du synthétiseur, qui donnent à ce disque son identité si particulière. Nous ne sommes ici qu’à l’orée de la carrière de The Cure, et la suite de leur destin sera riche en grands moments. The Cure publiera au fil des années cinq albums live (officiels), mais Play For Today reste à mon sens le plus racé d’entre tous. Au regard de l’ensemble de leur discographie, ce live s’impose comme un disque singulier et irremplaçable que tout fan de pop devrait absolument avoir dans sa discothèque.
NDLR / Aucune image ni son de ce concert hollandais de 1980 n’est disponible sur Internet, mais les vidéos de concerts de cette même période qu’on peut trouver sur Youtube se rapprochent beaucoup de celles du disque. En voici quelques-unes.