Je me souviens très précisément du 11 novembre 2009. C’était un mercredi, le soleil avait joué avec les nuages toute l’après-midi avant de laisser la place à une fine pluie. Je m’en souviens très précisément car j’ai assisté ce jour-là à un des concerts qui a le plus marqué ma vie. Lorsque j’ai emprunté la rue Biot, après m’être trompé de sortie au métro de la Place de Clichy, j’ai tout de suite été saisi par ses lettres noires qui se détachaient sur le fond lumineux (blanche, la lumière) de l’enseigne : Peter Walsh – & 49 Swimming Pools, le groupe sans qui…
Dire que la possibilité de se rendre à un tel concert relevait du miracle n’était pas loin de la vérité – même pour les plus athées d’entre nous. Pendant plus d’une décennie, personne ou presque n’avait eu de nouvelles de Peter Milton Walsh, “disparu” quelque temps après la sortie de l’album Apart (1997), frappé de plein fouet par un drame personnel. En 2007, au hasard de pérégrinations sur la Toile (sans doute via… MySpace), j’avais retrouvé brièvement sa trace, le temps de deux concerts dans son Australie natale. Deux années plus tard, grâce à l’entêtement et aux efforts démesurés d’un journaliste mélomane et musicien (dans le désordre, je crois) nommé Emmanuel Tellier, il s’était donc laissé tenter par un retour sur le Vieux Continent et trois prestations françaises – mais sous son seul nom. Dans un Européen comble et recueilli – j’entends encore ce silence assourdissant qui laissa place à des tonnerres d’applaudissements à l’entrée sur scène du chanteur – guitariste et de son complice Eliot Fish –, l’homme livra un concert bouleversant, au propre comme au figuré – jamais il ne terminera Twenty One, cette chanson où il évoque la disparition tragique de son fils et qu’il tentait d’interpréter sur scène pour la première fois…
Dans ce lieu lié à une époque où remonte la genèse de Section26 (le début des années 1990 et quelques autres prestations restées légendaires dans mon imaginaire : Arthur Lee accompagné par Shack ; Pulp, Huggy Bear et Moonshake ; Stereolab et Colm, vous voyez le genre), Peter Milton Walsh donna l’impression de s’adresser en personne à chacun des spectateurs présents – je me rappelle encore la réaction de mon voisin, un journaliste de magic © canal historique, Jean-François Le Puil, quasi contraint et forcé de venir ce soir-là et reparti chez lui presque KO debout. Comme nous tous d’ailleurs – mais les verres de vin blanc partagés au terme de ce concert unique n’y étaient peut-être pas complètement étrangers…
Je me souviens très précisément du 22 juin 2010 – et ce n’est pas parce que l’équipe de France de football fut définitivement éliminée de la Coupe du Monde sud-africaine, après avoir tutoyé le ridicule sur le terrain comme en coulisses. Ce jour-là, en fin d’après-midi, sur la belle terrasse de l’éditeur d’alors de magic © canal historique, The Apartments interpréta une poignée de chansons (dans le désordre, l’inédite Black Ribbons, Goodbye Train, Twenty One, Knowing You Were Loved…), filmées pour l’occasion pour le site Internet de ladite revue pop (plus ou moins) moderne. Ce soir-là, sous un ciel bleu azur et dans le soleil déclinant, c’est la première fois que je vis Peter Milton Walsh accompagné par le guitariste Antoine Chaperon et la chanteuse et instrumentiste Natasha Penot – une connexion tourangelle via Emmanuel Tellier, encore lui. Je ne le savais pas encore, mais je reverrai le trio quelque six ans plus tard, à Beaumont, dans l’agglomération clermontoise : après un concert tout en retenue, dans une salle éclairée par quelques bougies, j’avais pu discuter avec les responsables de ce nouveau tour de passe-passe mélodique – comment faire rimer intimité avec universalité, comment réussir à donner l’impression que chaque accord, chaque mot, chaque note ne semblent s’adresser qu’à soi ?
Je crois que je peux m’avancer sans prendre trop de risques… Je me souviendrai sans doute très précisément du 12 octobre 2018. Sous le soleil rougeoyant d’une merveilleuse journée d’été indien (mais pouvait-il en être autrement ?), j’avalais avec mon camarade Michel Valente et des chansons de New Order (et Scott Walker) les cent-soixante-dix kilomètres séparant Riom de Lyon, destination le Sonic, petite péniche rouge esseulée et amarrée à un quai situé au milieu de pas grand-chose – les Lyonnais m’excuseront, je ne connais que très peu la ville, où mon dernier concert remontait à 1992 (Moose, en première partie de Ride, au Transbordeur). À peine rentré dans la salle et l’on devine que l’écrin sera parfait – petite scène qui invite à l’intime, tenture rouge qui convie au magistral. Les lampes qui éclairent timidement le bar donne l’envie de se prendre, l’espace de trente secondes, pour un William Eggleston du smartphone.
La « big star », elle, est dans la loge, attendant en toute sérénité l’heure de monter sur scène. Il n’y a pas de première partie et l’on a envie de se dire que c’est mieux ainsi. Car un concert de The Apartments se suffit à lui-même. À l’heure dite – 21h15 –, le trio fend la foule compacte pour gagner son terrain de jeu. Une nouvelle fois, le silence qui accompagne cette arrivée est saisissant. Peter Milton Walsh joue les premiers accords de Mr Somewhere, une chanson que longtemps beaucoup fredonnaient sans savoir qu’il en était l’auteur – par la grâce d’une reprise du projet This Mortal Coil, sur le label 4AD. “A boat from the river takes you out”, murmure-t-il, avant que la voix de Natasha Penot, à la discrétion toujours élégante, ne vienne épouser la sienne. On ne pouvait rêver meilleure entrée en matière. Les yeux se ferment ; les lèvres esquissent un sourire. Antoine Chaperon égrène les notes de guitare qui viennent souligner à la perfection les motifs acoustiques du maitre des lieux. Quelques notes de clavier, un soupçon de melodica (toujours bien, le melodica) enrichissent ces chansons qui n’ont pas besoin de grand-chose pour séduire le public. On a beau fouiller dans notre mémoire, on ne se rappelle pas que le trio ait déjà joué avec autant de justesse, autant de complicité – pas un mot plus haut que l’autre, pas un arrangement qui ne soit pertinent…
Il y a bien sûr des fans – sans doute pas de la première heure, le début de cette histoire rocambolesque remontant à Brisbane, en 1978 –, mais aussi des curieux, guidés jusque-là par la ferveur de ceux qui se reconnaissent dans les mots cabossés de l’Australien. Lorsque retentissent les premiers accords de Thank You For Making Me Beg, on sait déjà qu’on ne boudera pas son plaisir à chantonner encore une fois “I get tired of living / Or maybe I’m just tired of who I am ” – entre autres phrases de génie – alors que Black Ribbons, le duo avec Natasha Penot qui a scellé en 2010 l’union artistique entre les deux Français et l’Australien, fait souffler une petite brise de légèreté.
Amours déchues, amours déçues : la vie n’est jamais très rose dans les chansons de Peter Milton Walsh, ainsi qu’il la dépeint dans Knowing You Were Loved ou The Failure Of Love… – un morceau que le groupe n’avait jusque-là jamais joué sur scène. La péniche tangue un peu, mais ce sont surtout les têtes qui tournent, en particulier sur le magistral final What’s Left Of Your Nerves, où les musiciens resserrent les rangs pour atteindre une intensité qui provoque des frissons. Le plaisir, sans doute. À un nouveau silence, succèdent les applaudissements. Le trio disparait quelques instants derrière le rideau. À son retour, alors qu’on croit deviner un air de surprise sur le visage de Natasha Penot, Peter Milton Walsh attaque nerveusement l’intro de Goodbye Train, livré dans une version teintée de gravité et de romantisme désabusé.
Sur la set-list imaginée par la jeune femme quelques instants avant de monter sur scène ce soir-là – “on en change à chaque fois”, confiera un peu plus tard Antoine Chaperon, lorsque l’on s’étonne de la quasi-absence des titres du somptueux No Song, No Spell, No Madrigal (2015) –, The Apartments aurait dû jouer Twenty One… Alors, le groupe bat en retraite une nouvelle fois. Puis revient. Le guitariste joue alors l’intro de cette chanson si particulière. Mais Peter Milton Walsh décline l’invitation. Définitivement. Une corde cassée ? Un cœur brisé ? Qu’importe… La foule se disperse, timidement, avec précaution, mais on croit discerner une discrète euphorie. Alors, dans un coin de la tête, résonnent une nouvelle fois ces quelques mots de Goodbye Train : “You’re not lost or broken yet”. Il a raison, Peter Milton Walsh… Pas encore. Mais touché. Comme à chaque fois. Et c’est bien pour cela qu’on reviendra.
The Apartments, Mr. Somewhere, en session acoustique filmée par Sébastien « Faits Divers sur la terrasse du Sonic à Lyon, le 12/10/2018.
C’était la première fois que je voyais The apartments. Du coup je n’ai pas quelque chose d’intéressant à dire sur leurs concerts passés. Juste envie de dire que ça faisait longtemps que je n’avais pas vu un concert aussi subtil, tant dans l’émotion dégagée par Peter Walsh, que la formule minimaliste, qui au final nous rappelle que les meilleures compositions peuvent se passer d’arrangements plus grandiloquents ( même s’ils subliment ), ce qui nous fait revenir à une vraie substance musicale, à l’essentiel.
J’ai passé un moment magnifique dans le lieu que j’affectionne le plus ici, moi, lyonnaise…
J’aurais aimé entrendre « Twenty one ». Corde ou pas, tant pis, ça n’était pas le moment….