Nous en sommes tout juste aux Saints de glace et le printemps, bien qu’encore débutant et timide, déjà nous apporte son lot de précieux présents sous forme d’une épiphanie opaline et apaisée. Cependant, j’avoue mon retard puisque c’est à l’automne dernier que Nue, volume numéroté 14 de la série FRKWYS de l’excellent label RVNG Intl., est sorti, mais parfois voyez-vous, les miracles semblent volontairement se dérober à votre attention pour mieux vous surprendre par leur magie deux saisons plus tard.
C’est par le hasard du streaming d’un soir (démon bien malin qui apporte, lui, son lot d’ennui, mais sait quelque fois vous assommer d’accidents heureux venus d’on ne sait où) que s’est dévoilé à mes oreilles la piste numéro 9 du lancinant morceau intitulé Fanfare, qui n’a rien à envier aux envoûtants coups de pédalier hantés de l’harmonium d’une Nico inspirée, et peut-être même rien non plus aux tubes des orgues cathédrales de siècles anciens passés. Mais derrière ces sons pincés et terriblement mystiques, c’est le souffle continu des cornemuses du compositeur Yoshi Wada qui se cache, accompagnés pour l’occasion par son compositeur de fils, Tashi Wada, et d’une famille choisie aux noms connus composée de Julia Holter, du producteur Cole MGN et du percussionniste Corey Fogel. Quant aux voix cristallines qui ponctuent certains des titres, les patronymes prestigieux affluent également puisque nous y retrouvons Simone Forti, Jessika Kenney et Laura Steenberge. Cette association exceptionnelle tombe tout juste, alors que dans d’autres genres les volumes FRKWYS nous avaient déjà procuré un grand ravissement en faisant par exemple et entre autres jouer du Blues-Fado en 2014 à Steve Gunn et Mike Cooper ou bien encore du Reggae cosmique en 2012 à Sun Araw, M. Geddes Gengras et aux Congos.
Mais revenons à nos démons, puisque c’est sous la houlette du yōkai « Nue », que se déploient somptueuses nappes et boucles enivrantes, aussi complexement mêlées que la créature elle-même faite de tigre, de tanuki et de serpent, rien de moins. Le dernier coup percuté qui clôt le titre Double Body puis celui de la cloche qui introduit le morceau suivant Bottom Of The Sky, pourrait facilement nous faire croire à l’écoute qu’il s’agit sans doute d’un esprit frappeur qui vous plonge dans une transe hypnotique, puis vous réveille d’un sommeil paradoxal. La sobriété ambient et dronesque du disque pourraient nous faire qualifier ce tout de « minimal », d’ailleurs on nous dit dans l’argumentaire que « Nue » est choisi car également synonyme de dépouillement, de nudité, mais la richesse des sons, la qualité mélodique et la chaleur des arrangements (sur les nappes, les cymbales, les claviers) mettent en doute ce qualificatif. À l’image de la coda Moments Of Exile, si enjouée et lumineuse qu’elle nous indique que notre esprit frappeur est peut-être tout aussi farceur. Un monstre cependant pas dénué d’une puissante sorcellerie à laquelle seule la musique seule peut nous faire accéder. Car tout comme les musiques classiques du genre, le transcendantal n’est jamais loin et Tashi Wada et ses compères ont bien raison d’également se réclamer de la plus magicienne des Brésiliennes, nommée sois-tu sorcière-poète du lointain Shtetl, Clarice Lispector. On pense évidemment à son Près du cœur sauvage — et nous y sommes en Fanfare, donc, mais aussi dans les Mutable Signs, en duo entre Julia Holter et Tashi Wada, qui tout comme Clarice, sont nés sous le soleil du signe du dépassement perpétuel, le sagittaire — mais aussi de son Água Viva qui disait, il me semble, tout à fait ce que ce disque dit : « J’essaie de capter la quatrième dimension de l’instant-déjà qui d’être si fugitif, n’est plus, car maintenant est devenu un nouvel instant-déjà qui à son tour n’est plus. Chaque chose a un instant où elle est. Je veux m’emparer du est de la chose. »
Alors je m’adresse à tous ceux qui ont soif de choses et d’instants et si dans ces temps obscurs que nous vivons, vous avez encore par hasard la force de chercher où se trouve votre irrépressible désir de beauté, n’attendez plus et écoutez Nue.