C’est amusant de constater à quel point des gens qui ne vous connaissent pas « vraiment » vous connaissent pourtant si bien. Mais je vous l’accorde, depuis qu’on se fréquente sur les réseaux avec Pascal Blua, on a largement eu le temps de se rendre compte qu’on partageait pas mal de groupes, de chansons, de coups de cœur – et d’autres centres d’intérêt aussi. Et puis, pour tout vous dire, on s’est même croisé une fois dans la vraie vie, le temps d’un dîner clermontois – et avec deux autres amis, nous avions partagé du vin, mais surtout des groupes, des chansons, des coups de cœur. Aussi, forcément, quand un dimanche matin, plutôt de bonne heure, Pascal écrit quelques lignes en conseillant d’écouter un morceau, on se dit que le jeu va certainement en valoir la chandelle. D’autant qu’il y a déjà ce nom d’artiste ou de groupe, Studio Electrophonique, un nom qu’on ne comprend pas vraiment mais qui inspire confiance – on pense à tort à « électro » bien sûr, mais on pense aussi, à raison cette fois, à « vintage ». Ensuite, il y a le titre de la chanson qui lui aussi inspire confiance. Parce qu’entre nous, on peut se l’avouer : on a rarement été déçu par ces chansons qui avaient pour titre ou dans leur titre des prénoms féminins – alors, on se souvient de Charlotte, Caroline, Lisa, Renée, Alice, Alison, Manon, Jane, Jeane et de quelques autres, des filles qui pleurent, toisent, se posent des questions, regrettent, séduisent, se laissent séduire, rigolent et racontent parfois leur vie. Forcément, il aurait été dommage qu’une histoire qui commence si bien se termine mal. Rassurez-vous, ce n’est pas le cas.
Car dès les premiers accords de guitare de Jayne, c’est le cœur qui s’emballe. Car dès que retentit la voix du dénommé James Leesley, c’est la respiration qu’on retient. Oui, c’est vrai, très vite, on pense au Velvet Underground du troisième album, à Candy Says, à Pale Blue Eyes, mais c’est plutôt une bonne chose. Surtout quand un clavier qui sonne comme un orgue vient souligner la mélodie avec une discrétion parfaite. Et puis, on tombe nez à nez avec ce clip qui renforce la filiation velvetienne, grâce à ses faux airs de screen test d’Andy Warhol – on ne sait pas si c’était le but et sincèrement, à ce moment-là de l’histoire, on s’en contrefiche… Pourtant, loin de Manhattan, James porte son anglicité jusque dans sa belle gueule d’acteur potentiel de drames « kitchen sink ». On n’est d’ailleurs pas vraiment étonné d’apprendre qu’il est originaire de Sheffield, l’une de ces villes fatiguées par l’effondrement industriel et qui en musique, a trop souvent pâti de l’omnipotence de ses voisines du nord, Liverpool et Manchester. Mais Sheffield quand même : The Human League — et donc Heaven 17 – et Clock DVA, Cabaret Voltaire et ABC, Pulp, Autechre, Moloko, le label Warp, Babybird, Richard Hawley… Ah oui d’ailleurs : lorsque ce dernier a entendu Jayne pour la première fois, la légende voudrait qu’il se soit mis à pleurer avant d’inviter l’auteur de cette ballade désœuvrée à assurer sa première partie – et en matière de ballade désœuvrée, il en connait un rayon, Richard Hawley… Mais comment ne pas le comprendre : romantisme à fleur de peau, minimalisme qui provoque des frissons, mélodie belle à chialer, la « première » chanson de James Leesley revêt tous les atours de la chanson parfaite pour accompagner les nuits d’insomnie, avec en guise de cerise sur le gâteau, ce final abrupt qui donne l’envie de la réécouter dans la foulée.
Mais en fait, le garçon n’en est pas à son coup d’essai. Car en parallèle de ce nouveau projet solo, il est aussi le meneur de High Hazels, un groupe de copains d’enfance. Chez l’un ou chez l’autre, entre deux verres (choisir son alcool favori, ça fera l’affaire) et quelques cigarettes, ces garçons ont dû souvent écouter The Smiths et les premiers disques d’Aztec Camera avant d’écrire de ces pop songs charmantes qui, disséminées sur un EP, une poignée de singles et un album, parlent souvent de tourments adolescents – une de leurs compos s’intitule Hearts Are Breaking, autant dire qu’on tient forcément en James un de nos nouveaux meilleurs copains. Une amitié que vient déjà renforcer You Had Me Hanging On, deuxième titre dévoilé par Studio Electrophonique, avec cette fois une boite à rythmes antédiluvienne, un orgue qui occupe le devant de la scène et une guitare acoustique pour accompagner la voix de ce garçon qui rêve sans doute souvent en noir et blanc. Cette chanson, tout comme Jayne, on la retrouvera à la rentrée sur un 25 centimètres intitulé The Buxton Palace Hotel. Il sera publié par le très select label fanco-anglais Violette Records – à qui l’on doit entre autres la troisième résurrection de Michael Head –, une structure bien décidée à redorer le blason de ce format tombé en désuétude, alors que Felt, Stereolab, Tindersticks lui doivent beaucoup. Trois noms que, vous avez raison, je n’ai pas choisi de citer au hasard. Trois noms auxquels Studio Electrophonique n’a en fait pas grand-chose à envier.