Les intéressés vous le diront tous, un concert de Sunn O))) est une expérience vraiment unique. Le groupe joue si fort que les fréquences basses ne font pas uniquement vibrer les tympans mais les corps tout entiers. Ces performances sont aussi jubilatoires qu’éprouvantes, à en juger par les sourires extasiés des uns et les flaques de vomi laissées par les autres (il se peut que ce soit les mêmes spectateurs). Et sur disque ? Que reste-t-il de cette musique lorsqu’elle est diffusée sur nos modestes sound-systems domestiques ? Est-il possible d’écouter Sunn O))) avec ses seules oreilles ? En méditation de pleine conscience, le conseil le plus précieux que l’on peut donner à un débutant est qu’il n’y a rien à réussir. Juste s’asseoir et accepter de ne rien faire d’autre pendant quelques minutes. Ici, c’est la même chose. Il est vain de chercher hystériquement à éprouver les mêmes vertiges que dans une salle de concert, surtout en écoutant des disques aussi différents que Black One (2005) ou Monoliths & Dimensions (2009), mais il est nécessaire de faire avec une sorte de disponibilité attentive prolongée. Ainsi, certaines œuvres se révèlent à nous de manière quasi épiphanique. Ça marche avec Life Metal mais aussi avec L’Art de la fugue, A Love Supreme, Chill Out, Pet Sounds, Six Marimbas. Moins bien avec Music For Airports. J’ai mis des années à le comprendre (je suis long à la détente, je sais) mais Brian Eno et Sunn O))) n’ont finalement pas grand’chose en commun.
Le groupe de Seattle a su évoluer en 20 ans. Sans vraiment sortir du sillon creusé initialement par Earth 2, il a tantôt emprunté la voie du black metal, tantôt celle de la musique spectrale ; mais le son de ce huitième album tranche avec les précédents. Steve Albini, qui s’est chargé d’enregistrer les sessions, s’est appliqué à retranscrire avec précision le timbre des instruments et la couleur des amplis, comme à son habitude, sans artifices. Le résultat est brut et puissant. Greg Anderson et Stephen O’Malley jouent pour ainsi dire sans capuches. Toutes les nuances et les subtilités sonores, on les doit aux compositions et au talent de leurs interprètes, dont l’invité d’honneur de Life Metal, la violoncelliste Hildur Guðnadóttir (mùm). Sur Novae, elle occupe le troisième côté d’un triangle autour duquel s’échangent riffs et drones vrombissants. Elle psalmodie aussi les quelques versets mystérieux de Between Sleipnir’s Breaths, un poème sonore extatique et quelque peu effrayant qui ressemble autant à une chanson de Black Sabbath au ralenti qu’à une œuvre de Iancu Dimitrescu. Enfin, avec Aurora, un concerto minimaliste d’effets de phase et de Larsen, le duo a enregistré sans doute l’un de ses morceaux les plus intensément gracieux. Les dernières dates françaises nous l’ont encore démontré, les performances scéniques de Sunn O))) méritent plus que jamais leur réputation. Ce sont des moments singuliers de communion avec le son et l’expression d’un culte fervent dédié aux riffs de Tony Iommi. Mais, à moins d’en être sorti complètement sourd, Life Metal vous envoûtera autant et vous émerveillera de sa beauté sauvage.