Pour ceux qui imaginent encore que les relations entre la France et l’Allemagne se sont longtemps limitées à une bonne grosse poignée de main entre Giscard et Helmut Schmidt au sortir d’un déjeuner copieusement arrosé de Riesling au restaurant le Bœuf à Blaesheim, en Alsace (terrain neutre, LOL), ou alors à la même scène décalquée à l’infini avec tous les dirigeants qui leur ont succédé des deux côtés du Rhin jusqu’au récent gros câlin entre François et Angela, c’est faux. Il est certain que cette utopie franco-teutonne a pris un autre tournant dans une sphère plus cathodique, mais historiquement, il faut tenir compte d’un autre duo. Selon la légende, l’histoire débute à l’hiver 1992/93 dans une boulangerie de Adalbertstraße, à Berlin. La jeune française Françoise Vanhove fait alors partie du girl band garage punk Les Lolitas (dont le troisième album a été produit par un certain Alex Chilton), et le fringant allemand Friedrich Ziegler s’illustre dans une formation noisy expérimentale, Sigmund Freud Experience.
Quelques mois après, Stereo Total nait et commence à écumer les scènes locales allemandes avec une recette très symptomatique de cette période. Sans moyens mais avec des mille idées et une énorme dose de fun, Françoise Cactus et Bretzel Göring piétinent les plates bandes trop sages d’une pop sixties trop lisse, labourent avec véhémence le sillon d’une new wave raide comme un corbeau mort, et pissent joyeusement sur la tombe plus très fraîche du punk. L’histoire ne s’est pas déroulée sans heurts, il y a eu des splits, des séparations, des redémarrages, jusqu’à la formule finale du groupe se réduisant à l’essentiel, à savoir les deux acolytes, un synthé et une boite à rythmes. La quintessence du lo-fi dans toute sa splendeur, tout à fait le genre de musique qui passe incroyablement bien le test du temps. Pour preuve, ce très joliment et bien-nommé Yéyé Existentialiste, copieuse somme (vingt-huit titres) de plus de vingt ans de carrière du duo, qui navigue joyeusement à travers les périodes et les tubes électro pop punk de Stereo Total. Pour appâter le chaland, l’une des marques de fabrique du duo, les savoureuses covers 8-bits de tubes immortels (Heroes de Bowie, Comme Un Garçon de Sylvie Vartan, Push It de Salt’n’Pepa, ou Heaven’s In The Back Seat Of My Cadillac de Hot Chocolate, sans oublier la reprise I Love You ONO du groupe japonais The Plastics). Puis, pêle-mêle, leurs débuts électriques, à base de bonnes vieilles scies punkisantes comme Miau Miau (1995) ou LA, CA, USA (1996), jusqu’à l’hymne néo-Tiki pour secrétaire exotique Dactylo Rock (1995) qui révèle une des autres mini marottes du groupe, la Fahrstuhlmusik, version teutonne de l’easy listening, également présente un peu plus tard, sur Do The Bambi (2005). Et depuis le départ, ce timbre de sale gamine de Françoise Cactus et son inimitable accent français sur des paroles allemandes à peu près accessibles à tous, y compris par les non-germanophones. Il y aurait beaucoup à dire sur les thèmes de prédilection du groupe, qui brassent à peut près toute forme de poésie du quotidien, entre la machine à café et le Schnaps, jusqu’à une forme de sexualité joyeusement libérée comme Ich Bin Nackt (2004), hymne FKK (Freikörperkultur, le naturisme élevé au rang de style de vie outre-Rhin), Ich Bin Der Stricherjunge (2007), un des rares titres chantés par Bretzel Göring qui raconte l’histoire d’un très jeune prostitué mâle et le fameux tube L’Amour à Trois (2001) dont le titre dit à peu près déjà tout. Après treize albums et des morceaux chantés en français, allemand, japonais, turc et espagnol, sans compter des tournées dans les pays sud-américains les plus lointains, ce flash back sur la belle vie de Stereo Total marche un peu comme une machine à remonter le temps puisqu’il commence par leurs tubes syhth-pop (des nineties I Love You ONO, Musique Automatique au plus récent Pixellise Me, extrait de leur dernier album en date, Cactus Versus Bretzel, sorti en 2012), et se termine dans les effluves punk rock de leurs débuts. Et il agit comme une bonne cure de jouvence, plongée dans les frénésies tumultueuses de l’adolescence, preuve que Stereo Total ne prend décidément pas une ride.