Le 9 juin 2025, Sly Stone rejoignait les étoiles, quelque part dans l’espace. Avant cela, le chanteur / producteur / disc-jockey avait fait de sa Family Stone, un des monuments de la soul et du funk des années 60-70. Paradoxalement, l’apogée du groupe fut d’assez courte durée, quelques années, même pas une décennie. Resserré certes, mais quel parcours ! Entre 1967 et 1971, Sly and the Family Stone enchaîne les classiques, de ceux à vous donner encore des frissons, un peu plus de cinquante ans plus tard. Le parcours ne fut cependant pas sans embûches. Sylvester Stewart se fait d’abord un nom à San Francisco, pour lui même. Originaire de Denton dans le Texas, il grandit à Vallejo en Californie du Nord.

Après avoir participé à des groupes doo-wop (The Viscaynes), il touche à tout, animant une émission de radio R&B sur KSOL et enregistrant et produisant des groupes (dont les Beau Brummels), pour le compte d’Autumn Records. Sly Stone dispose alors d’une solide double culture musicale, baignant à la fois dans le rock et la musique noire. Il cherche à retranscrire cela à travers sa propre musique et créé Sly and The Family Stone. Le line-up de la formation se stabilise autour de Freddie Stone (guitariste, frangin), le génial Larry Graham (basse), Cynthia Robinson (trompette), Jerry Martini (saxophone), Greg Errico (batterie), Rose Stone (claviers, frangine) et enfin le trio Little Sister (choristes, avec encore une sœur de Sly). Sly and the Family Stone se nourrit de l’utopie hippie des années soixante. Il en représente même l’une des plus belles déclinaisons, en créant un groupe mixte, aussi bien racialement (noirs et blancs) que dans les genres (hommes et femmes). Leur soul psychédélique a cependant du mal à décoller initialement. A Whole New Thing (1967) est accueilli froidement par la critique et le public. L’album ne fait guerre de vague, mais pas de quoi décourager Sly et ses troupes. Sur les conseils du légendaire Clive Davis, le groupe rectifie le tir sur le poppy Dance To The Music, un an plus tard. Sly and the Family Stone explose alors commercialement, une réussite auréolé d’un passage à Woodstock en 1969, scellant le destin du groupe. La formation est en feu, elle enchaîne les succès avec des classiques comme Life (1968) et Stand! (1969).
Trop fort, trop vite ? Après quatre albums en trois ans, Sly Stone prend son temps pour donner suite. Des tensions dans le groupe apparaissent tandis que Sly s’enfonce dans la drogue. Il monte aussi un label de courte durée (Stone Flower). Membre du partie des Black Panther, on lui suggère de remplacer Greg Errico et Jerry Martini, tandis qu’il fricote avec des gangsters. Bref, l’ambiance générale est tendue, le batteur finit d’ailleurs par claquer la porte début 1971. There’s a Riot Goin’ On sort quelques mois plus tard, en novembre 1971. L’album est certainement déroutant pour les contemporains, autant pour la presse que pour le public. Sly Stone tire un trait rageur sur l’optimisme des sixties et donc, sur ses quatre précédents albums. Le mouvement hippie est bel et bien fini, la drogue dure a remplacé les joints. There’s a Riot Goin’ On semble répondre à What’s Going On de Marvin Gaye, sorti la même année, mais aussi à Sly Stone lui-même. Reclus, camé, mal entouré, il efface et réenregistre inlassablement les morceaux, coincé dans une boucle dont il peine à s’extraire. L’album est boueux, léthargique et souvent cafardeux. La lumière n’en est pas pour autant absente. Les chansons pop (Just like a Baby, (You Caught Me) Smilin’) contrastent brutalement avec des morceaux semi improvisés (Africa Talks To You « The Asphalt Jungle », Spaced Cowboy...).
Les deux singles extraits de l’album participe à cette dualité. La joyeuse Runnin’ Away renvoie aux années 60 quand Family Affair préfigure le futur avec sa boîte à rythme et sa production lo-fi rêche. Disque malade, brouillon réécrit jusqu’à transpercer le papier, nous sommes témoins, impuissants, d’une descente piquée vers les tréfonds de l’âme. There’s a Riot Goin’ On, sait se faire parfois harmonieux, mais la plupart du temps, il vous prend à rebrousse-poil. Si certains pourraient voir dans ce pétage de plomb l’œuvre d’un génie, nous leur rétorquerons que Stand! ou Dance to the Music sont aussi des albums fabuleux, de la même étoffe. Au-delà de l’inévitable voyeurisme, il y a dans There’s a Riot Goin’ On bien plus que la seule trajectoire de Sly Stone. C’est peut être pour ça, que tant de monde adule cet album : il est une rupture brutale. Il disjoint deux époques, des manières d’interpréter le monde différentes et des approches de la musique diamétralement opposées (les débuts enregistrés en live, l’évolution vers la musique de studio). There’s a Riot Goin’ On est un album exigeant, pas toujours commode, mais un grand disque, un monument de la musique américaine même, ni plus ni moins. C’est parfois bon de s’en rappeler.