Les meilleures rencontres sont souvent liées au hasard. Parmi les dizaines de mails reçus chaque semaine, le nom d’un artiste m’a intrigué : Marinero. Cela semblait être tellement à l’opposé des groupes que j’écoute habituellement que la curiosité m’a poussé à cliquer sur le lien. Immédiatement plongé dans un univers sixties et seventies, j’ai d’abord été déboussolé. En mélangeant grands classiques américains, bossa, musique folklorique mexicaine à un chant alternant l’anglais et l’espagnol, Jess Sylvester a créé un disque hors du temps aux allures de trésor caché. Comme si Morricone, Gainsbourg, Jobim et quelques autres intouchables avaient grandi sous le soleil de Californie, à quelques kilomètres de la frontière mexicaine. Loin d’être un pastiche, le San Franciscain impressionne par la qualité des arrangements et l’inventivité de ses compositions. Si certains d’entre vous cherchent le disque idéal pour accompagner leur été, ne cherchez pas plus loin. Fermez les yeux, vous vous imaginerez immédiatement déjà au volant de votre voiture, vitres ouvertes, cheveux au vent, paysages sublimes et Hella Love à plein volume. Dans ce Selectorama atypique, Marinero dévoile les morceaux qui ont inspiré et influencé l’album. Vous y croiserez aussi bien Aldo y Los Pasteles Verdes que Gainsbourg ou Cindy Lee. Vous l’aurez compris, Marinero est un homme de goût.
01. Agustin Lara, Granada
Ce titre est un standard que beaucoup vont reconnaître. Ma mère nous disait souvent avec fierté qu’Agustin Lara, un des compositeurs les plus célèbres du Mexique, avait composé un des titres les plus populaires parlant de l’Espagne. J’aime à penser qu’on retrouve un peu de l’esprit d’Agustin Lara sur Fanfare, le titre qui ouvre Hella Love, ainsi que dans l’intro de Luz Del Fado. Cette version, jouée par le Trio De Janse, est incroyable. Principalement grâce à ses harmonies vocales.
02. Aldo y Los Pasteles Verdes, Interrogacion
Carlos Pesina du groupe Francisco y Madero est un musicien mexicain avec lequel je travaille souvent. Il m’a fait découvrir cette chanson il y a quelques années et je l’écoute en boucle depuis. Le riff d’ouverture est vraiment triste et sinistre. J’aime particulièrement les arrangements de guitare, d’orgue et de synthé. Nuestra Victoria est ma façon de rendre hommage au style des románticas et aux années soixante-dix. Il y a beaucoup d’autres groupes de cette époque que j’adore. Beaucoup sont dans la même veine que Los Pasteles Verdes.
03. El Chicano, Cha Chita
Lorsque j’ai commencé à fréquenter Jason Kick, l’ingénieur du son et co-producteur de Hella Love, nous avons fait une virée en voiture. J’ai passé ce titre à plein volume. Il l’a suffisamment aimé pour me demander ce que c’était. Ce groupe a enregistré un paquet de chansons superbes. Ils ont également des reprises à leur répertoire. Ce titre reste mon préféré à cause des arrangements luxuriants de violons. El Chicano influence énormément mon travail. Je trouve qu’on le sent bien sur Luz Del Faro et quelques autres titres du nouvel album.
04. Juan Gabriel, Hasta Que Te Conocí (En Vivo [Desde el Instituto Nacional de Bellas Artes])
Je garde un tendre souvenir de mon ami et collaborateur Oscar lorsqu’il a chanté par cœur toutes les paroles de l’album dont ce titre est extrait pendant que nous quittions San Francisco. Nous étions en pleine tournée de la côte ouest avec le groupe Y La Bamba. C’est mon album live préféré de tous les temps. Les cordes et la corne me laissent sans voix. J’ai pioché des idées dans ce disque lorsque je me suis mis au travail sur Hella Love. J’ai même envisagé de l’enregistrer comme un faux album live. La voix de Juanga est incroyable. J’ai les larmes aux yeux quand je pense à quel point sa musique est belle. Je rêve de pouvoir jouer avec autant de musiciens que lui sur cet album…
05. Chico Buarque & Ennio Morricone, Rotativa / Roda Viva
Lorsque j’ai rencontré Jason Kick pour la première fois, c’était pour enregistrer une maquette et voir si nous étions compatibles musicalement. Je lui ai parlé de cet album comme une source d’inspiration importante. Il le connaissait déjà. C’était un signe. Le son brésilien de certains titres d’Hella Love vient de mon amour pour Chico Buarque. J’y ai ajouté des arrangements à la Ennio Morricone. Quand j’ai commencé à parler à mes amis du style de mes nouveaux titres, je leur disais que j’avais une approche d’arrangeur et de compositeur, un peu comme si j’étais un groupe de reprise d’Ennio Morricone. Bref, c’est génial d’avoir deux légendes qui enregistrent un disque ensemble. C’est un peu comme ces épisodes de Scooby-Doo, lorsqu’ils font équipe avec Batman ou les Harlem Globe Trotters !
06. Perez Prado, La Octava Religión
Ce maestro du mambo est réputé pour son jeu teigneux de saxophone et ses trompettes cinglantes. Mais cet album est plus expérimental, groovy et psychédélique que les autres. Ce titre est particulièrement dépouillé par rapport à ses productions habituelles. J’aime comment, une fois mixé avec de simples percussions latines, l’orgue sonne comme de la musique classique.
07. Jane Birkin & Serge Gainsbourg, Jane B.
Pour la même raison qu’avec Perez Prado, j’aime comment Gainsbourg et Birkin ont apporté leur coolitude sixties à une mélodie de Chopin. Pendant l’écriture de Hella Love, j’ai essayé de mixer mes mélodies classiques avec des rythmes latins et même du disco.
08. Shuggie Otis, Island Letter
Je connais cette chanson depuis longtemps, mais elle est si belle qu’elle me coupe le souffle à chaque écoute. La mélodie vocale et la qualité du refrain mériteraient de figurer dans le livre Guinness des Records dans la catégorie “meilleur refrain et mélodie du monde”. Quand je travaillais sur la chanson titre de Hella Love, j’ai demandé à Diamond Ortiz, mon ami d’enfance qui est également musicien, de chanter au vocoder sur le titre. Je lui ai dit que l’inspiration venait de Shuggie. Il a alors suggéré d’utiliser une boîte à rythme Rhythm Ace. C’est une idée piquée à Island Letter.
09. Cindy Lee, I Want You To Suffer
Je suis conscient que la majorité des titres sélectionnés sont des années soixante et soixante-dix. Pour varier, voici un extrait de mon album préféré de 2020. J’ai l’impression que bon nombre de songwriters jouent la sécurité en termes de style musical. Il est facile de copier ce qui a été fait dans le passé. Cindy Lee prend de véritables risques. Elle peut écrire de meilleures chansons, accords et mélodies que la majorité des artistes que j’entends. Elle est même capable de juxtaposer des bruits de feedbacks de guitares pendant plus de deux minutes.
10. Ennio Morricone, Come Maddalena (Versione 12” maxi disco 78)
C’est la version disco du générique de Maddalena, un film de 1971 sur lequel Morricone a travaillé. J’aime la grandiloquence créée par un mix de chorale et d’Italo Disco. Sans cette chanson, Frisco Ball n’aurait jamais existé.