Selectorama : Marina Allen

Marina Allen
Marina Allen / Photo : Garret Miller

Il aura suffi de moins de vingt minutes et sept chansons pour comprendre que Marina Allen est une artiste qui va compter. Candlepower, son premier et court album, est habité d’une grâce rare. Pour se faire une idée, imaginez un croisement entre le vivier qu’était la scène de Laurel Canyon au début des 70’s et le talent que des artistes comme Sharon Van Etten ou Angel Olsen ont mis des années à développer. Candlepower est un disque cérébral réussissant le tour de force de ne pas ennuyer malgré sa diversité, mais plutôt de captiver et d’intriguer. Marina Allen fait partie de ces artistes animés par une vision et une détermination sans faille. Si l’album est plus ou moins minimaliste, chaque détail a son importance. Sa décision de produire seule une partie des morceaux n’y est sans doute pas pour rien. Le son ample et chaleureux, le chant tout en subtilité sont des invitations à voyager dans une dimension parallèle. Une dimension où la beauté, la tristesse, le drame et l’amour ne font qu’un. Les morceaux qu’elle a sélectionnés pour nous en sont le parfait reflet.

01. Stevie Nicks, Wild Heart (demo version footage)

Cette vidéo est hypnotique. J’ai beau être une fan de Stevie Nicks, je reviens tout le temps à ce document rare. On l’y retrouve backstage avec deux personnes dont elle semble proche pour répéter ce titre alors inédit. C’est quelqu’un avec qui j’ai eu une brève liaison romantique qui m’a fait découvrir ce clip. Je n’arrêtais pas de lui demander de le rejouer. J’étais hypnotisée. On arrive à deviner comment cette chanson lui est venue. Elle affiche une grande confiance en elle. Une bonne partie de l’élaboration de Candlepower a consisté à établir une connexion compliquée entre mon cœur et ma gorge pour évacuer mes sentiments. Il m’a fallu trouver le courage de ressortir ce que j’avais sur le cœur avec justesse. En résumé, cet enregistrement de Stevie Nicks m’a plus marqué que mon amourette.

02. Sibylle Baier, Tonight

Comment fait-elle ? La quiétude et l’atmosphère de cette chanson apportent une telle puissance. Elles sont précieuses et prestigieuses alors que les thèmes abordés sont ordinaires, simples, courants. J’ai découvert Sibylle juste après mes vingt ans. Ça n’arrive pas souvent mais c’était comme se trouver au bon endroit et au bon moment. Je traversais une phase de ma vie pendant laquelle je me sentais perdue et désespérée. Je suis tombée amoureuse de son univers. Elle m’a aidé à me sentir plus à l’aise dans le mien. Elle a été comme un professeur spirituel, m’aidant à adopter un style d’écriture plus mystérieux. J’avais l’impression que l’odeur de l’encens se mélangeait à la poésie de Mary Oliver. Le magnétisme paisible de Sibylle a fait éclore en moi quelque chose de simple, élégant et fiable.

03. Cathy Berberian, Girl (Beatles cover)

J’ai découvert l’existence de Cathy Berberian grâce à son mari, le célèbre compositeur Luciano Berio. Son approche de la musique vocale contemporaine m’a servi de ligne directrice et elle m’a fait le plus grand bien car les mouvements d’avant-garde sont souvent denses. Elle possède un grand sens de l’humour et c’est ce qui fait son génie. Je pense que c’est le seul antidote à la prétention insidieuse. A travers cette tactique, elle prend d’énormes risques qui l’emmènent dans des territoires inexplorés. Il faut de la virtuosité pour être capable de créer un tel artisanat. Écouter ses chansons me le rappelle régulièrement.

04. Caethua, Lament

Où que vous soyez, si vous me lisez, écoutez cette chanson. Il est difficile de la décrire où de parler de l’influence qu’elle a eue sur moi, mais je vais essayer. J’imagine avoir découvert cet enregistrement dans une bouteille en verre sur une rive. Peut-être pourriez-vous l’écouter si vous revenez au calme, après une soirée passée à vous chamailler avec quelqu’un que vous aimez. C’est un phare. C’est une prière. C’est comme lire un passage d’un livre rare dont les pages sont jaunies. On y découvre les notes écrites par le précédent acquéreur. Des révélations fragmentées et gribouillées sur les bordures et dans les coins.

05. Kate Bush, Kite

On ne peut que s’incliner devant Kate Bush. Personne d’autre sur terre n’a son talent. Dans cette chanson, elle se demande littéralement ce qu’elle pourrait ressentir si elle était un cerf-volant dans le ciel. Vous voyez ce que je veux dire ? J’étais obsédée par The Kick Inside lorsque j’ai commencé à réfléchir à Candlepower. Je la trouve ouvertement ambitieuse et talentueuse. Ses chansons ont tendance à être traditionnelles, athlétiques, Gershwin-esque et déconnectées de toute émotion. Telle une ballerine, elle est effervescente en surface, mais si tu t’attardes à l’observer tu te rends compte que cette fille travaille dur. Elle arrive à manipuler sa voix avec des détails si microscopiques que c’en est intimidant. C’est dans son articulation, sa direction, sa clarté et sa concentration qu’elle trouve sa liberté et qu’elle arrive à s’envoler. Kate Bush a une infinité de leçons à nous apprendre. Chacune d’elles mérite d’être décortiquée.

06. The Roches, Runs in the Family

Ce groupe coule dans mon sang. J’étais toute petite quand j’ai découvert cet album. Elles sont presque de la famille pour moi. J’ai longtemps pris des leçons chez Terre Roche. Je la suivais partout dans New York quand j’étais adolescente. C’était avant que je ne commence à jouer mes propres chansons. Cette expérience a compté pour moi. Elle me racontait des histoires du bon vieux temps. J’ai pu observer comment elle passait ses journées. The Roches sont des féministes folk bohèmes. Je voulais comprendre comment je pouvais moi aussi le devenir. Les seules femmes que j’ai connues dans mon enfance étaient des mères au foyer, des professeurs ou des artistes. J’étais désespérée de devenir musicienne, mais je ne comprenais pas comment relier le point A au point B pour y arriver. Terre m’a gentiment expliqué que la meilleure façon d’y arriver était sans doute de commencer à jouer d’un instrument.

07. John Lennon, Free as a Bird

J’ai beaucoup écouté et joué cette chanson en 2020. C’est un de mes enregistrements préférés de tous les temps. C’est une sacrée chance de pouvoir entendre un titre de Lennon à l’état de maquette. Je ne vais pas vous refaire le discours sur l’influence inépuisable de John Lennon, mais plutôt vous dire à quel point son habileté à dire la vérité me guide. J’aime entendre les vérités de ce titre se dévoiler tout au long de l’enregistrement.

08. Celeste, I Can See the Change

Ce titre m’a toujours fait pensé à du John Lennon. L’enchaînement est donc parfait. J’ai été bluffée par cette chanson quand elle est sortie. C’est une artiste avec un don. Je trouve que ça sonne comme une suite d’accords de Stevie Wonder. L’intuition de Celeste et sa capacité à emmener son morceau dans des endroits différents me déroute. J’ai tenté de m’inspirer de son approche sur toutes mes chansons récentes. J’y reviens sans arrêt car il y a tellement de détails qu’il me reste à découvrir.

09. Linda Perhacs, Parallelograms

Cet album est mon ange gardien. Il compte énormément pour moi. Je me sens proche de Linda Perhacs en ce moment car j’habite temporairement dans la ville où elle a grandi. Martin County, dans le nord de la Californie, est à la fois irréel et mythique. La nature y semble vulnérable. Je l’entends dans sa musique et j’espère que cela ressort de la mienne. J’ai toujours aimé sa capacité à acheminer son esprit vers de l’expérimental tout en restant dans le cadre de la musique folk. Comme si Judee Still prenait une microdose de LSD tous les jours. Elle est l’air et la lumière pourtant elle ne perd pas en complexité. J’écoute Parallelograms quand je n’arrive plus à me souvenir de mon nom. Quand je plane bien plus que de raison.

10. The Band, Tears of Rage

Si vous avez envie de pleurer pendant un long moment, ce titre est pour vous. J’aime aussi la version de Bob Dylan, mais je n’ai pas réussi à la trouver. Un ami cher m’a joué ce titre lors d’un road trip l’été dernier. Nous étions tous les deux en larmes à la fin du morceau. C’est une chanson parfaite quand tout tourne au tragique lors d’un trajet en voiture. Les morceaux capables de vous faire cet effet sont rares. Il y en a quelques-uns pour chaque occasion. Celui-ci est idéal pour les ruptures, la reddition, pour vous faire tomber à genoux, pour faire couler des larmes de rage et de plainte.


Candlepower de Marina Allen est sorti chez Fire Records.

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