Avec Acquainted With Night, son deuxième album récemment sorti chez Sub Pop, Lael Neale excelle dans l’art d’aller à l’essentiel. Évoluant principalement autour d’un Omnichord, aucun son, aucune parole ne paraît superflu. A tel point que l’on a l’impression d’entendre un album de chansons jouées dans l’instant, une collection de démos enregistrées dans une chambre. De façon contradictoire, les titres d’Acquainted With Night sont taillés pour les grands espaces, les roads trips où la musique qui ne fait plus qu’une avec cette immensité. Si la magie opère quasi immédiatement, c’est en grande partie grâce à la voix et aux textes poétiques de Lael. Une intemporalité s’en dégage. A l’image des dix titres choisis par Lael pour ce Selectorama où l’on ne retrouve que des vieux titres toujours pertinents et percutants aujourd’hui.
01. Jeannie Piersol, The Nest
Dès que le vinyle a commencé à craquer, j’ai été envoûtée. C’est une chanson pop parfaite. Elle me fait penser aux sensations ressenties dans une montagne russe de fête foraine campagnarde. Je suis choquée que ce titre soit si obscur.
02. Nina Simone, Suzanne
Je n’aime pas trop que la musique m’accompagne du matin au soir, mais quand je découvre une chanson qui me touche, je la joue en continu. C’est le cas pour ce titre. Nina Simone est une femme aux talents multiples. Son plus grand don est de s’approprier les chansons des autres. A tel point que l’on a souvent l’impression qu’elle les a composées elle-même. Je trouve que c’est la version ultime de ce titre de Leonard Cohen. La version live mérite un coup d’œil. On y remarque à quel point Nina est fluide, ouverte. On dirait qu’elle reçoit des ondes, que leur beauté l’affecte profondément et qu’elle les offre à l’auditeur.
03. Theotis Taylor, Swing Low Sweet Chariot
C’est un extrait d’une compilation incroyable, Fire In My Bones. Le jeu de piano de Theotis Taylor laisse imaginer qu’elle est en pleine conversation avec son instrument. Ça me rend le cœur léger. Sa voix et sa performance sont celles d’un oiseau ; planant, aérien, vertigineux. J’aime également le côté distordu et éclatant de cette composition. Rien n’y est rigide ou écrasant.
04. Cass McCombs, Harmonia
Cette chanson est un mystère pour moi. Je n’arrive pas à définir ce qu’elle me fait ressentir ou à quoi elle me fait penser. D’autres titres de Cass McCombs me font le même effet. Cela doit venir de son alchimie magique pour marier les mots, la tonalité et la mélodie. C’est presque un tour de passe-passe. A la fois doux et apaisant, mais en même temps touchant. Sa tristesse est comparable à un coup de couteau en plein cœur.
05. Maki Asakawa, Konna Fūni Sugite Iku No Nara
J’ai découvert ce titre dans une compilation d’artistes japonais appelée Even A Tree Can Shed Tears. Elle couvre une période allant de 1969 à 1973. J’ai écouté cet album pendant des mois en conduisant à travers Los Angeles. Cette ville te donne l’impression d’être dans les années 70. Même la lumière y a un ton moins saturé et doré. Même si je ne comprenais pas ce que chantaient les artistes, j’imaginais presque instinctivement leur signification et je créais mes propres histoires. Cette chanson me fait sentir comme si je voyageais dans un train, passant mon temps à observer des paysages qui défilent, à la fois familiers et inconnus.
06. Francoise Hardy, Take My Hand For A While
La guitare jouée à rebours et l’orchestration de cette chanson hyper sentimentale apportent un plus à des racines folk plutôt simples. Je prête une grande attention à cette performance vocale de Françoise Hardy. Il n’y a aucune note superflue. Sur les autres versions qui existent, les interprètes ont souvent tendance à ajouter des ornements dispensables et des sifflements qui ont tendance à m’irriter. Contrairement à Françoise, qui joue sur la vulnérabilité sans jamais tomber dans le théâtral.
07. Spiritualized, Ladies and Gentlemen We Are Floating in Space
Par le passé, j’ai souvent dit que je voulais que ce titre soit joué à mes funérailles. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourtant il résonne toujours aussi fortement en moi. Jason Pierce a un don pour partir d’une idée simple et la transcender. Ses chansons deviennent fractales, s’ouvrent progressivement sur l’extérieur et finissent par vous encercler.
08. Claude Debussy, Clair de Lune
Je pense souvent que c’est la chanson parfaite. Il n’est pas surprenant qu’il ait été un étudiant en ésotérisme. Il comprenait le pouvoir de la symétrie et de la divine proportion dans la musique. Au même titre que Erik Satie ou Kandinsky, ses contemporains, il était fasciné par la synesthésie et l’idée d’écouter les peintures et de voir la musique. Ce titre a des couleurs et de la texture. La mélodie vous prend par la main et vous entraîne dans un endroit stupéfiant.
09. Helen Banks (with Vangelis), Do You Know
C’est un titre cosmique. Il se construit progressivement et s’élève, vous permettant d’échapper à un marasme avec sa batterie chaleureuse et truculente, avant de vous emmener dans l’espace avec l’éclosion d’une musique électronique d’avant-garde.
10. Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou, Ethiopiques 21
Je triche certainement en sélectionnant un album entier, mais c’est de cette façon qu’il faut écouter cette musique. De la première à la dernière note, vous entrez dans un monde à part. Cette nonne éthiopienne m’accompagne depuis quatre ans. Ces chansons s’adaptent à toutes les occasions. Je les compare souvent à la nature. Elles ne déçoivent et ne s’usent jamais. Elles ne vous demandent rien. Mais elles donnent sans relâche, telle la plus pure des sources. Cet album est comme l’eau, il est essentiel.