Tout n’est pas perdu pour le rock hexagonal. Les Rennais de Food Fight nous l’avaient déjà démontré en 2021, année de la sortie de leur E.P. éponyme, sur lequel apparaissait le titre-phare Shenanigans, qui nous avait bigrement enthousiasmés, laissant entrevoir un futur prometteur pour le groupe. Trois ans plus tard, après avoir sillonné la France en long en large et à travers, le quatuor vient tout juste de sortir son premier album, Zeitgeist Impressions, généreux en riffs et en mélodies accrocheuses. Cultivant sans vergogne l’imaginaire mod, biberonnés à la power pop de la fin des seventies, les quatre Bretons pourraient tout aussi bien être brittons. Et un groupe qui reprend (impeccablement) en concert la fabuleuse Venus in Bother Boots des Nipple Erectors – l’indispensable premier groupe de Shane MacGowan avant les Pogues – ne peut qu’avoir notre sympathie. Leur musique s’inscrit très dignement dans la tradition des formations UK comme les 101’ers de Joe Strummer, Wreckless Eric ou les Only Ones, sans pour autant tomber dans le mimétisme. La guitare est incisive, la basse / batterie solide, et on se réjouit d’entendre un chanteur dont l’accent laisserait croire qu’il aurait pu grandir à Soho. Les textes, soignés, sont radicalement à gauche et pinaise, ça ne fait pas de mal dans un monde qui s’extrême-droitise à vue d’oeil. CCTV, Grand Zero, Unschooled et Shenaningans (que Food Fight a réenregistré pour l’occasion) sont autant de petites bombes pop qui auront contribué à rendre l’année 2024 plus vivable. Les quatre camarades nous honorent aujourd’hui d’une petite sélection des chansons qu’ils affectionnent, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ces messieurs ont du goût.
Adrien
01. Box Elders, Plenty of Room at the Bottom de l’EP Tiny Sioux (Hozac Records, 2010)
Groupe de garage-punk d’Omaha dans le Nebraska dont je ne connais rien, ou presque. Ils ont aussi sorti des titres plus proches de ce que produisaient les groupes à la mode de l’époque comme les Black Lips. En revanche, cet EP Tiny Sioux comporte une paire d’excellents morceaux power pop couplés à un garage 60s suburbain tout dépressif du meilleur effet. Aussi, meilleure pochette de Oi! galloise de 1985.
02. Slade, Give Us A Goal, de L’EP éponyme (Barn Records, 1978)
Slade, du glam de boot-boy, du foot anglais, des clopes, des bières, des copains et une affiche d’Alan Shearer dans une chambre d’adolescent. À voir aussi le concert de promo du titre dans le stade du Brighton and Hove FC en plein hiver 1978, devant des hordes de gosses électrisés dans le froid d’un Boxing Day…
03. The Shivvers, Don’t Tell Me, du LP éponyme sorti en 2014 (en vérité une réédition des morceaux sortis entre 1978 et 1982)
Parce qu’il n’y a rien de plus pop que de chouiner son amour perdu pendu au téléphone sans jamais vouloir connaître la vérité. Ce tube parmi tant et tant d’autres produit par la bande de Milwaukee, menée par la chanteuse Jill Kossoris, propose une énorme progression dégoulinante, chaperonnée par un très beau pont qui prend un chouïa au dépourvu. Comme le nom du groupe l’indique, ça frissonne et ça pique (un shiv en anglais américain est un couteau de fortune fabriqué par les taulards).
Jérémy
04. Alvilda, Téléphone
J’aime beaucoup Alvilda, autant humainement que musicalement d’ailleurs, ce sont de chouettes personnes. Je trouve qu’elles sont superbes et étonnantes sur ce morceau, Téléphone. Pas grand chose à ajouter, si ce n’est que je me rends compte qu’on a quelque part commencé nos groupes ensemble, sorti nos 45 tours au même moment et que la même chose arrive encore pour l’album. Nos logos respectifs sont également des cœurs. Bravo les amies !
05. The Pastels, Nothing To Be Done
Alerte « olala ! olala ! olala ! » Quel groupe ! J’adore toute la scène noisy pop des années 80/90, c’est comme une culture doudou venu d’un temps que je n’ai pas connu puisque je suis né en 1992. Bref, j’adore tout ce qui fait ce morceau, pêle-mêle : le mélange féminin/masculin du chant, le côté bancal, l’acoustique mélangée à l’électrique et cerise sur le gâteau : le son des solos qui tue, je n’ai pas d’autres mots.
Antoine
06. Ian Lloyd & Stories, I Can’t Understand It
Petite pépite glam/powerpop classique de 73 par un groupe qui accueille tout de même en son sein un ancien membre des merveilleux Left Banke. Très beaux entrelacs guitaristiques, riffs rock n’ roll et mélodies en escalier typique de cette époque d’audaces pileuses et vestimentaires qui manquent désormais cruellement aux musiciens dits “professionnels”.
07. The Freshies, I’m in Love with the Girl on a Certain Manchester Megastore Check-out Desk
Titre parfait, dans tous les sens du terme, pour ces jeunes, innocents et vigoureux Freshies de Manchester. Cette flamboyante déclaration d’amour crypto-anonyme signe donc également le début du libéralisme dans le domaine de la vente de disques, et, par extension, la fin de l’ère des disquaires indépendants, du punk et des rencontres amoureuses hasardeuses dans les petites échoppes britanniques. Après cela, la new-wave néo-romantique, Margaret Thatcher et les séquenceurs.
08. Cotton Mather, Password
Un merveilleux morceau de 1997 en provenance d’Austin et d’un groupe qui n’a visiblement pas accédé à la postérité. Harmonies vocales au top, guitares carillonnant toutes voiles dehors, arrangements épiques de cordes en fin de morceau. Le grand philosophe stoïcien Liam Gallagher ne s’y était pas trompé, reconnaissant là lui-même un groupe “meilleur qu’Oasis”.
Nico
09. Calexico, Minas de Cobre (For Better Metal), extrait de The Black Light (1998)
Nous sommes à l’aube du XXIème siècle. C’est jeudi soir et je pousse la porte du Tribal Café à Montaigu (85) où j’ai mes habitudes. C’est l’Happy Hour et James, le tenancier, sert à boire tout en jonglant avec la fonction « random » de sa platine 5 CDs. Je sirote ma pinte de blonde à 10 francs comme à l’accoutumée sauf que ce soir là, un disque et un morceau particulier s’est glissé dans la sélection du bar, pile entre un bon vieux Motörhead et le sempiternel Manu Chao de l’époque… Quelques notes plaintives de guitare en intro, un rythme chaloupé en rimshot et une explosion de cuivre sauce Mariachi… Bim, me voilà propulsé dans les grandes étendues de l’ouest américain, de Monument Valley jusqu’au rives du Rio Grande, au son de cette bande originale de western façon Robert Rodriguez. Véritable invitation au voyage, Minas de Cobre est un morceaux instrumental de Calexico, groupe phare de la scène de Tucson. Il apparaît sur l’album The Black Light sorti en 1998 et sera pour moi une porte d’entrée sur tout un pan de la musique indé américaine, entre folk, americana et country alternative.
10. Nick Cave And The Bad Seeds, The Loom of the Land, extrait de Henry’s Dream (1992)
J’ai toujours bien aimé Nick Cave. Il faut dire qu’avec 18 albums en compagnie des Bad Seeds, il y a de quoi faire et ce, sans même évoquer la totalité de la production musicale du bonhomme. De 1983 à 2024, le crooner et sa bande à géométrie variable ont su se réinventer avec plus ou moins de succès. J’avoue avoir une nette préférence pour la période couvrant les années 90, lorsque Mick Harvey et Blixa Bargeld officiaient encore au sein des mauvaises graines. L’album Henry’s Dream sort en 1992 et comporte 9 titres parmi lesquels une ballade à la production un brin ringarde : The Loom of the Land. Vrai plaisir coupable, je ne me lasse pas de cette voix profonde sur les premières mesures, de cette reverb abusée sur la caisse claire et des chœurs en fond sonore. C’est beau, c’est sombre, ça parle de vagabondage et d’amour…Ça sent la murder ballad à plein nez… A écouter en roulant de nuit sur une route déserte.