Depuis qu’il est adolescent, Nathan Goslhem a toujours gravité dans le monde du punk, adorait éditer des écrits – fanzines comme romans – narrant cette contre-culture. Une passion toujours fidèle pour les marges. Vers 2016, il publie de façon bénévole des revues éclectiques et radicales sous le nom de Demain Les Flammes, une aventure solitaire sur le papier, mais autour de laquelle gravitent des personnes motivées pour la traduction, l’illustration, la mise en ligne et l’impression. « L’idée des revues était de proposer des sommaires sur des sujets très précis, mais sans approche de spécialiste. L’ambition était de varier les formats (récits, entretiens, BD, reportages photo…), mais des trucs de fond, qui ne périment pas, et qui peuvent être lus à peu près par tout le monde, tant qu’il y a une forme de curiosité pour les contre-cultures ou considérées comme telles. » Jeune, Nathan a lu Double Duce de Aaron Cometbus, musicien et écrivain punk Américain dans sa version originale, il en a compris l’essentiel, un brûlot bordélique et fougueux. Ce fût donc une évidence de pouvoir donner de la visibilité à ses livres, qui commençaient timidement à être traduits en français.
Les romans de Cometbus magnifient la vie quotidienne, les errances et l’ennui. « Le punk devenait un décor, mais pas un décorum d’opérette construit pour faire genre, non, plutôt un décor réel qui suffisait à encadrer des histoires folles qui racontent ce que peut être une communauté, avec son histoire, ses errements. » Le lien avec la musique est naturellement vers le punk, que Nathan écoute, qui a su attiser sa curiosité vers d’autres genres marginaux. Son Selectorama est à l’image des nombreuses sorties de Demain Les Flammes, curieux, passionné. On y découvre que Aaron Cometbus jouait avec des membres de Green Day, de l’émo Lyonnais des années 90, du punk expérimental Néerlandais, et de la musique d’Arabie Saoudite…
01. Baton Rouge, « Cours Tolstoï », extrait de Totem (2014)
Des guitares qui m’enveloppent totalement, des ami·es souriant·es, une harmonie bruyante dans une cave toulousaine, de la sueur qui perle presque du plafond, voilà quelques bribes de l’un des plus beaux concerts de ma vie. C’était Baton Rouge, un groupe qui chante la ville de Lyon comme personne. Le cours Tolstoï peut prendre différents noms. Ici, à Toulouse, il s’appelle avenue Jean-Jaurès. Les deux cours d’eau lyonnais, le Rhône et la Saône, on les appelle la Garonne et le canal du Midi. Et les deux collines, Fourvière et la Croix-Rousse, on ce sont Jolimont et Pech-David. Pour ne rien gâcher, l’un des musiciens de Baton Rouge est aussi graphiste, et c’est lui qui signe toutes les couvertures des livres d’Aaron Cometbus publiés chez Demain Les Flammes.
02. Maudit Dragon, « Vagabonde », extrait de Maudit Dragon (2022)
Au sortir du concert de Maudit Dragon il y a deux ans à Toulouse, le correcteur de la plupart des bouquins de Demain les flammes disait à son propos : « J’ai l’impression qu’une pluie diluvienne m’est tombée dessus. » Il y a de ça chez Maudit Dragon : la mélancolie du grunge, la puissance du punk, et une poésie qui creuse la noirceur pour aboutir à des morceaux qui se savourent comme des bonbons. Et à la batterie, une personne aussi précise en musique qu’à l’écrit, puisqu’elle a traduit la plupart des livres d’Aaron Cometbus.
03. Pinhead Gunpowder, « The Great Divide », extrait de Goodby Ellstone Avenue (1997)
Encore une histoire de batteur. Celui-ci vient de Californie, a déménagé voici plus de vingt ans à New York, et écrit et édite un fanzine depuis le début des années 1980. Aaron Cometbus, qui joue donc dans ce groupe de punk rock avec des membres de Green Day, est l’auteur le plus présent dans Demain les flammes. Je peux même dire que son travail forme une sorte de matrice pour l’ensemble du catalogue : célébrer les communautés marginales par leur littérature, et celle issue du punk en premier lieu. Cette chanson, en plus d’être un sacré tube qui me fait toujours avancer plus vite, apparaît d’abord au sein du groupe d’amis frappadingues mis en scène dans Double Duce, le premier roman d’Aaron traduit en 2020. En français, cela donne Le grand fossé : « Qu’est-il arrivé à notre communauté ? Penses-tu qu’on entrera dans l’histoire ? qu’on nous oubliera ? »
04. Stefan Christoff, « Part 1 », extrait de In Sofia (2023)
Vous pourrez peut-être le croiser à Montréal, Mexico, Amsterdam, Paris, Skopje ou Sofia et discuter avec lui de ses moult projets. Stefan Christoff est pianiste, mais aussi guitariste, activiste forcené et amateur de collaborations avec des musicien·nes du monde entier. Sa pratique musicale, toujours instrumentale, s’inscrit aussi au cœur des luttes pour l’émancipation (lire à ce sujet un entretien avec lui sur le site de Ballast). Ici, c’est une pièce au piano qui invite à la contemplation et au ressourcement. Je vous conseille de l’écouter la nuit, seul·e ou bien accompagné·e. Vous m’en direz des nouvelles.
05. De Kift, « Staal op staal », extrait de IJverzucht (1989)
Dans Et s’ouvre enfin la maison close, une histoire orale d’un squat toulousain ayant existé de 1996 à 2006, le Clandé, publié par Demain les flammes en 2022, une scène raconte un concert endiablé d’une fanfare punk familiale et multigénérationnelle. Des étoiles dans les yeux, les spectateur·ices se souviennent d’un concert torride dans une ville que l’été avait vidée. Entassé·es dans la salle de concert, en fait serré·es comme des sardines, les squatteur·euses avaient été ravi·es par l’énergie et la générosité de De Kift. Je n’ai pas assisté à ce moment, probablement que vous non plus, mais ce morceau est là pour rappeler ce que la musique peut offrir de bonheur et de communion. Le tout dans des espaces libérés des logiques marchandes, ce qui décuple le plaisir.
06. The Fugs, « Nothing », extrait de The Fugs First Album (1965)
Lundi, rien. Mardi, rien. Mercredi, rien. Vous reprendrez bien un peu plus de rien ? The Fugs est un groupe mythique des Sixties américaines, où officie Ed Sanders, que ses traducteurs décrivent comme un être « animé d’une énergie démoniaque, qui galope dans tous les coins, sillonne rues et réjouissances, enthousiaste et hyperactif, mille capes sur le dos. Poète, musicien, libraire, éditeur, imprimeur, pamphlétaire, journaliste, amoureux éperdu de littérature, écrivain, inventeur d’instruments de musique bizarres, militant acharné de la gauche radicale, il sème les étincelles avec l’ardeur d’un mort-de-faim ». Cette chanson est à l’image de sa littérature et de sa poésie : caustique, incantatrice, furieuse. Grande inspiration d’Aaron Cometbus par sa manière de croquer le monde hippie et beat depuis ses zones d’ombre, son travail est à découvrir très bientôt dans la traduction de ses volumineux Contes de la Gloire beatnik, que Demain les flammes publie avec les éditions de L’Oie de Cravan, sises à Montréal. Rendez-vous en janvier 2025 pour 528 pages de rien bien remplies !
07. Ô Paon, « Chevaux », extrait de Courses (2010)
Ô Paon est l’un des projets musicaux de la bédéiste et poétesse Geneviève Castrée, dont le travail a dès le départ été publié par les éditions de L’Oie de Cravan à Montréal. Il est extrêmement difficile d’extraire des bouts de son œuvre, car tout gagne à être connu, et le tout forme un tout : son livre Susceptible, un récit d’une enfance maganée, son recueil de poèmes Maman sauvage, à propos de sa grossesse, son ultime livre adressé à sa fille, Une bulle, et puis bien sûr son œuvre de musicienne, entre un drone planant et les meilleurs moments de Catherine Ribeiro avec Alpes. Mais puisqu’il faut bien commencer quelque part, pourquoi pas ce décompte de chevaux ?
08. Tony Schwartz, « Juan Charascado », extrait de Nueva York: A Tape Documentary of Puerto Rican New Yorkers (1956)
Deux petites filles chantonnent un hymne à la gloire d’un bandit social à la Robin des Bois, Juan Charascado, tout en dessinant dans leur salle de classe. Et celui qui tient l’enregistreur, c’est Tony Schwartz, qu’on connaît pour les premiers enregistrements de rue du barde Moondog. C’était par ailleurs un habitué des field recordings tout aussi surprenants les uns que les autres. L’album dont ce morceau est extrait est une plongée dans le New York porto ricain des années 1950, Nueva York. On y découvre dans un mélange de témoignages, bruits et instantanés musicaux saisis sur le vif les communautés migrantes récemment débarquées dans cette ville-monstre.
09. Zounds, « Subvert », extrait de Can’t Cheat Karma (1980)
Ce morceau, et les trois titres de cet EP, incarnent la quintessence de mon panthéon personnel du punk. C’est un appel galvanisateur au sabotage, partout, tout le temps, c’est un classique d’une époque et d’un son, celui d’un punk anarchiste né en Grande-Bretagne qui s’est immédiatement exporté dans le monde entier. Et c’est un disque sorti par le label Crass Records, enregistré par Penny Rimbaud, musicien et parolier, qui a notamment signé Le Dernier des hippies, traduit par un autre musicien et parolier contemporain qui ne renierait pas une affiliation avec Zounds !
10. Ettab, « Saî el Barid », extrait de عتاب (Ettab) (1992)
Un petit dernier pour la route ! Qui nous emmène loin, jusqu’en Arabie Saoudite, d’où vient la chanteuse Ettab, et au Caire, où elle s’installe au début des années 1980 et où elle vivra jusqu’à la fin de sa vie en 2007, en passant par le Liban où cet album est produit en 1992. Même si, vous l’aurez compris, faire des livres est une histoire d’amitié, de rencontres, cette fois, je ne peux relier en rien ce morceau à autre chose qu’au pur plaisir de la musique, par-delà les frontières, les langues et les genres.