BrigadeCynophile, comme on l’appelle dans le milieu par passion pour les canidés, est le nom d’une émission sur la pointue LYL Radio où Félicité passe ses coups de cœur sans restrictions de genre. Hyperactive, elle dégaine ses productions sous différents formats (affiches, flyer, pochettes de disques) dans tout le champ culturel (labels indépendants, salles de concerts, groupes, éditeur(ices). Comme elle l’aime le rappeler, ce n’est pas là qu’elle fait fortune, mais elle y fait ses armes, essaie des choses. Le graphisme c’est large, Félicité s’occupe de diverses manières depuis que la pandémie a mis à l’arrêt la machine. Elle fait des « semaines pédagogiques » en lycée, des workshops en écoles d’art, de la mise en page de livre, du merch pour les labels.
Dans son agenda de ministre, elle arrive à mûrir certains projets, notamment dans le fanzinat, voulant simplement parler de musique et garder sa patte graphique, mais partant du constat que les filles sont malheureusement toujours peu nombreuses dans le domaine. Il était simple d’y remédier en proposant à des amies, connaissances, contributrices dont elle aime l’univers et le travail d’écrire. Ventoline était né (deux volumes à ce jour qu’on vous invite à commander ici), un zine participatif mais qu’elle orchestre seule, de la mise en page aux envois par la Poste. Pour honorer ce travail titanesque, elle pense que deux volumes par an seraient un bon rythme de croisière. En attendant le volume trois, Félicité a trouvé le temps de nous proposer dix titres qui ont une résonance particulière pour elle.
01. Housewives, SmttnKttns
Housewives est un groupe anglais qui fait du rock expérimental dans la lignée de This Heat, mais sous le règne des GAFA. Sur leur dernier album, ils ont eu l’excellente idée de remplacer les guitares par un saxophoniste fou et une bonne dose d’autotune – n’en déplaise aux rockistes qui frissonnent sur Idles dans leur Austin Mini – et en live ça me fait beaucoup plus d’effet que n’importe quel concert de rock auquel j’ai assisté ces dernières années, et pas uniquement parce qu’ils sont beaux et dansent hyper bien.
02. Tirzah, No Romance
Tirzah a sorti plein de tubes, dans celui-ci elle égrène tous les trucs douloureux qu’on s’évite avec une vie « sans romance » (no heartbreak, no rejection, no harsh words, no lies…) mais à force de l’entendre répéter tout ça, on ne sait plus trop si c’est le refrain ataraxique d’une meuf enfin libérée des vicissitudes de l’amour, ou si c’est une incorrigible romantique en train de s’auto-convaincre, comme tous les soirs, que demain elle arrête.
03. Michael Yonkers, I’m So Glad You Came
On pense d’abord que ça parle de retrouvailles, on comprend dès la première strophe qu’il s’agit de séparation, puis d’agonie. En fait non, cet homme n’est pas sur un lit d’hôpital, il est dans le couloir de la mort et il s’adresse à la femme qu’il aime en se demandant pourquoi on le tue si tuer est un crime. C’est le dernier chant d’un condamné, calme et résigné, ça me met sens dessus dessous à chaque fois tellement c’est beau.
04. Danielson, Headz in the Cloudz
Daniel Smith aka Danielson aka Danielson Famile (…) est un monsieur intimement connecté avec Dieu mais dont la freak folk est très éloignée de tout ce qu’on peut s’imaginer du christian rock. Jouant tantôt déguisé en arbre biblique, tantôt entouré de membres de sa famille à la flûte ou au glockenspiel, il a collaboré avec des pointures comme Jad Fair, Sufjan Stevens et Deerhoof. Moins pop et extatique que le reste de son répertoire, Headz in the Cloudz ressemble à un trip de scouts échappés du camp pour aller fumer des joints avec les petits animaux de la forêt.
05. Société Etrange, Voiturin à phynances
La musique de Société Étrange est moderne et primitive, elle transcende les catégories (rock / électronique / dub / kraut) avec beaucoup trop de classe, si bien qu’elle s’apprécie autant seul, chez soi, qu’en concert où, même sans drogue, une volupté sans égal s’empare systématiquement de l’assistance. Dans un monde dystopique où ces trois gusses seraient moins hermétiques à la fame et où talent rimerait avec succès et service public, ce serait sans doute le groupe le plus connu et reconnu de France, à rouler en Merco et passer sur Taratata tous les vendredis.
06. Fatha Dom, Tell Your Baby Mama To Leave Me Alone
J’ignore à peu près tout de Fatha Dom, je sais juste que ça me donne envie de zigzaguer le long du périph sur un vélo tuné, face au coucher de soleil grenadine qui caresse l’horizon de Vaulx-en-Velin les soirs de printemps, donc je vous laisse avec ce commentaire YouTube bien senti : « Howww in the actual fuck can anyone thumb this down?? This is smoother than the bottom of James Brown‘s shoes. »
07. P22, Ode To Rio Arriba
Ce groupe californien a sorti un EP génial l’an dernier chez Post Present Medium, renouvelant au passage mon admiration pour le catalogue de ce label trop méconnu. P22, ce sont trois filles et un garçon qui font du punk déconstruit, très défiant et cru, vraiment loin des choses branchouilles qu’on pourrait attendre de jeunes gens à la dégaine « arty » au tournant des années 2020. Difficile de choisir un seul extrait de Human Snake qui s’écoute comme un ensemble de courtes saynètes pleines de bonnes énergies négatives.
08. Getachew Degefu, Hay Loga
Ado, j’ai vécu deux ans en Éthiopie, une époque passée hélas sous perfusion de Muse et Smashing Pumpkins dans un bras et de MTV dans l’autre, autant dire qu’hormis les bracelets tribaux et les T-shirts Lion of Judah je ne m’intéressais pas à la culture locale. Quelques décloisonnements esthétiques plus tard, je me dis que j’ai dû passer à côté de pas mal de choses incroyables.
09. King Tubby, Dub You Can Feel
Dans un monde idéal, tout le monde devrait connaître Société Étrange, mais aussi s’écouter trente minutes de King Tubby au réveil avec une boisson bien chaude et alors il n’y aurait plus de stress, plus de guerres, plus de pandémies, juste du dub analgésique qui coule dans nos veines tout au long de la journée.
10. Martin Rev, Secret Teardrops
Quand Martin Rev se prend les pieds dans le tapis de l’amour et ne sait plus distinguer le rêve du souvenir et de la réalité. On sent le cœur palpiter, c’est minimal, angélique et un peu pathétique.
+ Bonus track
Ce n’est pas une chanson, c’est le moment télévisuel le plus feelgood que je connaisse, à savoir la rencontre des vieux lions Christophe et Alan Vega dans le studio du premier, ça parle de muscu, de « swimming boule » et vite fait de musique. Christophe est une vraie brêle en anglais mais au moins il ose demander les mots qu’il connaît pas parce que, comme dirait Alan, ça reste le « bawss ».