Une plume subversive, avec des couleurs tantôt criardes, tantôt en noir et blanc, des visages coulants dont les traits sont exagérés, des sujets d’actualités dénoncés avec un verbe acerbe, du soutien aux luttes aussi… Biberonné aux Crados et aux Simpson, Alex Ratcharge dessine depuis très jeune et s’est mis à bricoler des fanzines dès l’âge de 12/13 ans où il parlait de cinéma et de jeux vidéo. Il devient vite avide de culture marginale : « Les films de John Waters, Gregg Araki, Tarantino, Kevin Smith, Trainspotting, les livres de Bukowski, Ray Bradbury, George Orwell, Stephen King, etc… Tout ça m’a énormément marqué quand j’avais 14/15 ans, et aujourd’hui encore je considère ces trucs comme des piliers, même si, bien sûr, ma culture des marges s’est considérablement élargie. Au final, j’ai l’impression d’avoir su ce que je cherchais assez tôt. Tout le problème, en ces temps pré-internet et dans cette banlieue dortoir, c’était de le trouver. »
Dès le lycée, ses écrits commencent à se transmettre sous le manteau aux potes du lycée. Puis, la découverte de la scène punk hardcore le motive et il lance le fanzine Black Lung en 1999 dont il fera éclore 14 numéros jusqu’en 2004. Avec l’éponyme Ratcharge, il se permet la création d’un support physique libre et sans règles : « Concrètement, ça veut dire qu’un numéro de Ratcharge peut être en français ou en anglais, faire une page ou 100, que ça peut être un fanzine musical aussi bien qu’un roman, un recueil d’illustrations aussi bien qu’une bande dessinée ou une nouvelle. » 100% autodidacte, infatigable et touche à tout quand ce n’est pas en solo, Alex trouve le temps de participer à des publications collectives, souvent temporaires : Freak Out avec Jub, l’excellent Psycho Disco qui regroupe chroniques musicales obscures, illustrations et pléthore de sujets. Il aussi collaboré au légendaire fanzine de San Francisco : Maximum Rock N Roll.
Côté musique, il a participé à Cool Marriage Records (malheureusement en stand by) avec son pote Vincent, un label de Lyon qui a sorti des productions hexagonales -souvent de Rhône-Alpes – telles que Yves Bernard, U.R.S.A. et Dernier Futur, du punk de la Bay Area (Neon et Life Stinks), de la pop granuleuse Américaine (Chronophage) et Finnoise (Hulda Huima et Mustat Kalsarit). Il a aussi contribué à quelques groupes essentiellement punk et hardcore.
Entre un néant et un autre (2017) est une version révisée par ses soins de textes compilés et publiés en 2010 et 2013, ressortis en 2017 chez Des Mondes à Faire. Le livre raconte la vie en squat, faite de rage et errance, parfois au bout du monde. Concentré sur l’écriture, son premier roman Raccourci Vers Nulle Part sort en 2022 chez Tusitala. L’histoire de Pierrot, qui partage avec son auteur certaines passions et le goût pour les cultures marginales. Qui tombe amoureux puis s’abîme. Avec mille cordes à son arc et plein de projets en tête, Alex traduit également un roman qui sera publié aux éditions du Gospel (coucou Adrien) et commence la rédaction d’un nouveau roman. Avant tout cela, il nous propose sa sélection commentée, entre punk engagé, post punk minimaliste et ou débraillé et pop magnifiée d’Europe, d’Amérique ou d’Australie.
01. Arsou, La Rue
« Sur le chemin de nulle part, sur les trottoirs, on rêve de Lille en feu ». Ça fait des années que la scène « toto punk » de Lille est l’une de celles qui me parlent le plus dans l’Hexagone, avec des groupes qui mêlent influences punk français, Oi! et post-punk de rue, et qui finissent d’ailleurs, me semble-t-il, par s’influencer les uns les autres. Faut dire que, comme souvent quand t’as plein de bons groupes dans un même bled, ceux de Lille ont l’air de souvent partager des membres. Arsou, c’est l’un des derniers venus de cette clique, et c’est du petit-lait pour celles et ceux qui kiffent Traitre, Kronstadt, Utopie, Douche Froide et brûler des poubelles autant qu’iels détestent les keufs. Dédié « aux shlags, aux drogué·es, aux enfermé·es, aux exilé·es, aux taré·es, aux suicidé·es, aux inadapté·es, aux émeutier·es, aux fatigué·es, aux marginaux de tout l’univers et aux déviant·es de tous genres. »
02. Famous Mammals, Soul Without Sound
J’ai toujours eu cette impression un peu désespérante qu’en France, pas grand-monde ne s’intéressait aux sonorités dites « UKDIY » – cette multitude de groupes anglais qui, dans le sillage de la première vague punk, et notamment des premiers singles autoproduits des Buzzcocks et des Desperate Bicycles, se sont mis à sortir leurs propres 45 tours bricolés-maisons, qui renvoient aussi bien à du post-punk qu’à de l’anarcho-punk (voir les compiles Bullshit Detector produites par Crass) ou de l’indie-rock brut d’avant l’heure. Cf. les compiles Messthetics et des groupes comme Tronics, The Door and the Window, Tone Deaf & the Idiots, The Apostles et des centaines (!) d’autres. Bref, tout ça pour dire que Famous Mammals est un groupe actuel de Californie qui s’approprie ce son, et que ça marche du tonnerre.
03. Faucheuse, Ville Interdite
Dans mon parcours de fanzineux, l’une des catégories de groupes que j’ai le plus interviewé et chroniqué, c’est « les groupes hardcore punk de Bordeaux avec Luc Ardilouze à la batterie ». En voilà un tout nouveau, et même si on retrouve ici le rythme de prédilection du bonhomme (indice : ça commence par un « d » et finit par un « t »), Faucheuse se démarque direct de ses prédécesseurs par un côté plus fun et plus rock’n’roll, ainsi que par un chant plus exubérant, où je perçois des réminiscences de Rainbow Of Death, vieux projet éphémère de la chanteuse et du gratteux. Ville interdite, c’est leur morceau mid-tempo, mais c’est surtout un gros tube pour lever sa pinte en l’air et/ou plonger tête la première du haut d’une enceinte.
04. GEE TEE, Grease Rot Chemical
Parce que des fois, tout ce dont on a besoin, c’est d’un bon vieux tube de punk KBD (Killed by death) pour boire des bières et faire la teuf avec les potes. Avec en bonus l’une des lignes de synthé les plus obsédantes de l’année.
05. Mystic 100’S, Windowpane
Personne ne l’attendait, enfin pas moi en tout cas : un nouvel album de Milk Music en 2023 ! Euh pardon, de Mystic 100’s, le nouveau patronyme de ces fumeurs de joints d’Olympia depuis au moins deux disques, sachant que le précédent datait de 2017. Ici, le groupe continue d’explorer son rock psychédélique du désert (on pense à Neil Young, à Blue Cheer, et à gober des champis mexicains autour d’un feu) avec un indéniable talent, et pour ne rien gâcher, avec l’attitude de ceux qui font leur truc dans leur coin, sans le moindre soucis pour l’industrie de la musique.
06. The Sheaves, Saturation Induction
Grosse surprise de l’année en ce qui me concerne : un groupe d’Arizona à la croisée du son des Shifters et de celui de Psychedelic Horseshit. Ou si vous préférez, de The Fall et des Electric Eels. Une sorte de post-punk chelou et d’apparence foutraque, qui devrait ravir les oreilles éduquées à ce genre de (subtil) boucan.
07. Spirito Di Lupo, Canzone Della Foresta
La scène anarcho-punk actuelle de Milan mérite qu’on s’y penche, et je recommande notamment tout ce qui sort du collectif Sentiero Futuro. Si ça vous intéresse, y aura un papier sur cette clique dans mon prochain zine (Ratcharge 41). Comme ses collègues, Spirito Di Lupo s’approprie la riche histoire du hardcore punk international et de l’anarchisme avec un son à la fois frais et intemporel, sombre et plein d’espoir, combattif et lucide. Vivement une tournée en France.
08. Toxic Rites, It Shall Be Ours
« Fair rights, decent lives, we must take what is due ! Cause everyone deserves it, not just the wealthy few. » Si ce groupe des monts d’Arrée revendique haut et fort ses influences anarcho-punk anglaises des années 1980, ce premier enregistrement évoque aussi les débuts du punk mélodique californien, Bad Religion en tête, avec ce chant ultra-mélodique dans un anglais parfaitement maîtrisé. Impression renforcée par ces moments où les paroles abordent l’écologie et le triste sort réservé à notre planète. J’ai choisi ce premier morceau au refrain entêtant et au propos à la Do They Owe Us A Living ? de Crass, mais tous sont aussi excellents.
09. Wireheads, Life After Winter
Encore un groupe dont je n’attendais plus de nouvel album, le précédent datant de 2017. Quelle joie de retrouver ces australiens ! Pas sûr d’avoir autant écouté un truc en boucle ces cinq dernières années en dehors de Traitre ou de Bière Sociale, avec qui ils n’ont d’ailleurs pas grand-chose en commun. Wireheads, c’est de l’indie-rock frais et inventif, où chaque morceau semble à la fois couler de source et constituer une expérience réservant des surprises à l’auditeur. Avec ce chant un-peu-blasé-mais-quand-même-fonceur typique du rock australien au moins depuis The Saints.
10. XV, No Touching
Et on termine avec du free-rock du Michigan, par un trio de meufs dont tous les enregistrements valent le coup. Ici, le son est un peu plus hi-fi que précédemment, mais pas la musique, et le mariage des deux donne quelque chose d’unique, comme un rêve éveillé et plein de textures différentes, dont on se réveille avec pour seule envie d’y retourner. À noter qu’une version française du vinyle devrait sortir prochainement par le biais du super magasin parisien Pop Culture.