C’était il y a quinze ans, pendant l’été – et la saison était plutôt bien choisie : le premier album d’une chanteuse américaine dont le nom d’artiste avait tout pour (me) plaire – A Girl Called Eddy, en clin d’œil même pas dissimulé à A Girl Called Dusty – sortait un premier album formidable de pop vintage. Un album qui devait beaucoup à la période charnière des années 1960 et 1970, aux filles dont le prénom se terminait par le son « i » et au savoir-faire d’un admirateur métamorphosé en producteur, le toujours hautement recommandable Richard Hawley. D’une voix légèrement voilée, Erin Moran chantait avec cette pointe de mélancolie qui rythme si souvent la vie des mélodies jolies comme des cœurs, parfaitement servies par des arrangements d’un autre temps. En dix compositions et une reprise, la jeune femme surgie d’un peu nulle part signait le genre de disque qui allait faire que nos nuits allaient être pendant plusieurs mois plus belles que vos jours. Et puis, elle s’est évanouie comme elle était venue – sans même laisser un mot. Jusqu’à l’an dernier, où l’on a retrouvé sa trace, au sein d’un projet échafaudé avec l’un de ses admirateurs, le Français Mehdi Zannad, alias Fugu. Alors que The Last Detail réalisait sous les applaudissements des critiques et du public un disque épatant, son label Elefant Records en profitait pour annoncer la sortie prochaine d’un… deuxième album de A Girl Called Eddy. Le genre de nouvelle qui a fait de tous ses admirateurs des Saint Thomas en puissance – on voulait voir pour vraiment y croire. En janvier 2020, l’attente sera bel et bien récompensée : précédé par la chanson éponyme Been Around, le deuxième album de A Girl Called Eddy sera une réalité. Et si vous voulez avoir une petite idée de comment il sonne avant qu’on vous en parle un peu plus la semaine prochaine, (re)lisez le Selectorama qu’Erin Moran avait offert à la RPM en 2004 : sans doute sans le savoir, elle donnait déjà des indices qui permettent de s’imaginer le panache des douze chansons de ce nouveau disque…
Bruce Springsteen, Born To Run (1975)
Alors que j’étais gamine, Born To Run est la chanson que mon frère a écoutée sur sa nouvelle chaîne stéréo pour vérifier la puissance des enceintes (Sourire). Je me souviens encore d’entendre l’intro et de me précipiter pour coller mon oreille à la porte de sa chambre. Springsteen est le premier artiste “rock” que j’ai aimé. Avant lui, j’étais fan des Bay City Rollers (Sourire). J’aimais aussi les Monkees et les Beatles. En tout cas, Born To Run reste un superbe album. Mon grand frère a joué un rôle important dans mon éducation “artistique”. Mais j’ai toujours baigné dans la musique. Ma mère adorait les ballades des années 1940 et 50, le music-hall et Nat King Cole. Mon père, lui, était trompettiste, il jouait lors des mariages et des fêtes. Il faisait souvent des reprises de Mancini, que j’adorais.
Burt Bacharach, Alfie (1967)
L’un de mes compositeurs préférés. Je ne t’apprendrai rien en t’avouant que je suis obsédée par cette période dorée de la fin des sixties et du début des seventies. Carole King, Todd Rundgren, Scott Walker, Jimmy Webb, Nick Drake… Mon nom d’artiste fait bien sûr référence à Dusty Springfield, une de mes chanteuses favorites avec Karen Carpenter et Chrissie Hynde, et à son album A Girl Called Dusty. Bizarrement, elle n’est pas mon interprète préférée de Bacharach. Quant à mon pseudo, Eddy, je le traîne depuis l’école. Mais pour mon prochain disque, je pense enlever le A Girl…. Il faut savoir que j’ai commencé à enregistrer mon album il y a deux ans, à New York. J’ai ensuite réalisé trois morceaux à Sheffield, avec Richard Hawley : lui, il a tout de suite compris où je voulais en venir. On n’a pas pu prolonger la collaboration car il avait d’autres engagements. Et mon père est tombé gravement malade. Alors, j’ai pris un peu de recul par rapport au disque. En fait, je l’ai terminé depuis pratiquement un an.
Gilbert O’Sullivan, Alone Again (Naturally) (1972)
Ce doit être la première chanson dont je garde un souvenir précis. J’en adore la mélancolie, le côté mélodramatique exacerbé, l’apitoiement, aussi… (Sourire) Le premier morceau que j’ai composé ? Je m’y suis mis assez tard, et c’est lié à un événement douloureux (NDLR : le décès de sa mère). Mais ce devait être une histoire romantique qui se terminait mal… (Sourire)
Abba, Dancing Queen (1978)
On peut en rigoler aujourd’hui, mais à l’époque, il n’y avait pas grand monde capable de rivaliser avec Abba. En termes de pop, ça confine à l’excellence. Je trouve toujours cette chanson magique ! Adolescente, je dansais seule dans ma chambre en l’écoutant (Rires).
Prefab Sprout, Goodbye Lucille N°1 (1985)
Je suis une admiratrice de Paddy McAloon, j’adore tous les albums de Prefab Sprout. J’ai découvert le groupe sur MTV, avec la vidéo de When Love Breaks Down. Mais sur ce disque, j’ai une préférence pour Goodbye Lucille N°1. Au milieu des 80’s, il n’y avait pas grand-chose qui m’attirait musicalement. Je détestais toute la vague synthétique. Même si la production de Thomas Dolby sonne datée, les compositions sont tellement belles qu’elle ne me dérange pas. Les mélodies ont un classicisme dingue… Et les textes ont cette dimension à la fois futée et émouvante. Moi, je ne suis pas aussi intelligente que McAloon. J’essaye juste d’être honnête (Sourire).
Scott Walker, It’s Raining Today (1969)
L’intro de cette chanson est incroyable, avec ces cordes majestueuses. Et puis, la voix arrive. Je comprends que les gens détestent… Pour certains, ça ressemble même à une blague, tellement il y a d’emphase. Moi-même, Je n’ai pas aimé la première fois que j’ai écouté Scott Walker. C’est un ami anglais qui m’a converti. En fait, j’adore haïr quelque chose et l’adorer ensuite (Sourire). Aujourd’hui, je le considère comme un génie. Je l’ai découvert assez tard, vers 1994. Scott 3 est l’un des trois albums qui m’a montré que l’on pouvait composer des trucs romantiques sans être forcément ridicule… (Sourire) Avant de me lancer en solo, j’ai fait pas mal de choses. J’ai même joué dans un groupe qui a été signé sur le label de Quincy Jones, QWest. J’ai rêvé un instant que nous allions devenir les nouveaux Prince & The New Power Generation, je m’imaginais déjà en Wendy… Mais nous n’avons même pas sorti de disque. (Rires.) J’ai également été bassiste dans une formation pop, à Hoboken. On faisait surtout des reprises. Aujourd’hui, je vois tout ça comme un apprentissage nécessaire, même si j’aurais peut-être pu me jeter à l’eau avant.
Nick Drake, Riverman (1969)
Quand j’ai découvert Nick Drake, j’étais en pleine rupture amoureuse. En passant devant un disquaire, j’ai vu cette fantastique pochette, celle du coffret rétrospectif. Et je me suis demandé qui était ce si beau garçon. (Rires.) J’ai acheté les Cd’s, que j’ai écoutés à mon retour au studio où je travaillais à l’époque. Au début, je n’étais pas sûr d’aimer sa voix, à cause de son maniérisme, de son côté outrageusement anglais. Et puis, j’ai fondu, littéralement.
Glen Campbell, Wichita Lineman (1968)
Quelle classe ! C’est un morceau de Jimmy Webb. Dans ses chansons, il y avait toujours une dimension cinématographique. Là, tu visualises très bien le personnage, cet ouvrier américain, tu imagines parfaitement sa journée, tu connais ses sentiments… Webb est un grand conteur. Jamais je ne me lasserai de ses compos, elles ont une telle force émotionnelle. Et ici, tu as en plus la voix magnifique de Glen Campbell. Pour l’anecdote, je n’ai encore jamais rencontré personne qui n’aime pas cette chanson !
David Bowie, Life On Mars (1971)
Encore un disque que j’ai connu sur le tard… Je n’étais pas aussi cool que les autres gamines. Life On Mars est ma chanson préférée sur Hunky Dory, pour ce mariage entre “opéra” et pop. J’ai découvert ce disque en même temps que Loveless de My Bloody Valentine. À l’époque, vers le milieu des années 1990, j’ai habité Paris pendant six mois, mon petit ami d’alors était français. Et je garde un excellent souvenir de cette période.
The Beatles, Here, There And Everywhere (1966)
J’adore les Beatles et John Lennon, mais j’ai quand même un faible pour Paul McCartney. Je crois qu’il a déclaré que Here, There And Everywhere était l’une de ses chansons préférées. Mélodie, texte, structure : tout est parfait.
Simon & Garfunkel, America (1968)
Un autre exemple classique du songwriting américain. J’adore cette réverb’ presque surnaturelle. Et l’innocence du texte. Les harmonies sont juste belles, simples. J’aimerais peut-être me rapprocher de ça pour mon prochain album, avoir un son un peu plus chaleureux.
The Smiths, Last Night I Dreamt Somebody Loved Me (1987)
Autour de moi, dans les années 1980, tout le monde adorait les Smiths. Moi, j’aimais bien, mais sans plus. Je m’y suis replongé il y a un an ou deux ans, et j’ai pris une claque. Encore une fois, je me laisse prendre par la dimension dramatique, c’est ma faiblesse (Sourire). Comme Jimmy Webb, Morrissey est un merveilleux conteur, il parvient à dépeindre un lieu, un quotidien, les petites choses de la vie, de la sienne ou de celle d’un autre. Et j’adore ça.