Saint Etienne, comme j’aime le dire, c’est un arc-en-ciel musical, souvent mélancolique, parfois triomphant, par moments euphorique mais toujours optimiste. Ou alors, un cristal dont la couleur varierait en fonction de la lumière.
Écouter Saint Etienne c’est s’ouvrir à un récit qui est le leur – Sarah Cracknell, Bob Stanley, Pete Wiggs -, une récit qui est aussi devenu le nôtre – nous, les enfants de la pop moderne -, un récit qui toujours nous hypnotise, un récit qui nous intrigue par sa délicatesse, par son élégance. Saint Etienne revient avec un nouveau et dernier album – ils l’ont annoncé ainsi, ndlr -, International. J’ai réfléchi pendant des jours à ce que je pouvais en dire, j’ai d’abord écrit des choses sans grand intérêt et puis, j’ai fini par réaliser qu’il me fallait d’abord, parler des deux disques précédents, I’ve Been Trying to Tell You et The Night.
I’ve Been Trying to Tell You (2021) et The Night (2024) sont des disques d’effacement, et ces deux albums, à quelques exceptions prés, ne contiennent que des fragments de chansons. Ecouter ces deux albums, c’est voir un groupe perdu dans une époque qu’il n’aurait pas pleinement affrontée, Sarah, Bob et Pete apparaissant et disparaissant au fil des écoutes. Ils ne sont plus la musique, ils sont dans la musique et Sarah Cracknell, avec un chant détaché qu’on ne lui connaissait pas, nous semble comme figée devant les paysages musicaux en décomposition joués par Bob Stanley et Pete Wiggs. Néanmoins, j’y ai trouvé, à l’époque, une certaine beauté – très addictive – derrière laquelle se cachait une certaine lassitude du monde.
Parfois, de rares fois, face à quelqu’un, face à une œuvre, face une musique, face à une sensation, ou peut-être, face à nous-même, on « sent » dans tout notre corps que ce moment compte, parce que ce moment nous montre à quel point nous – eux – sommes pleinement vivants.
J’ai eu peur que I’ve Been Trying to Tell You et The Night étaient, leur manière à eux, de nous dire au revoir et puis, Glad est arrivé, par surprise, pour sécher ces larmes que je ne voulais pas voir. Et puis International est arrivé…
Ce qui est extraordinaire avec ce nouvel album – ce qui ne m’était jamais arrivé auparavant chez Saint Etienne – c’est d’avoir l’impression que le corps, le cœur et ces chansons sont reliés, comme tissés ensemble. Cela fait des semaines que je les écoute et je ne veux plus les lâcher ces 12 chansons. Je veux toujours sentir mon cœur s’emballer sur l’intro de Glad et danser sur Dancing Heart. Je ne veux plus jamais m’arrêter de chanter « Everyone is monochrome” avec Sarah Cracknell et Nick Heyward sur The Go Beetweens (Tiens donc, ndlr). Je veux être enveloppé de la mélancolie de Sweet Melodies. Je veux danser avec la même élégance que Save It For A Rainy Day. Je veux regarder le ciel avec Fade – et avec elle près de moi -. Je veux tailler la route avec Brand New Me. Je veux m’hypnotiser aux sons stroboscopiques de Take Me To The Pilot. Je veux m’éblouir à m’en brûler les yeux, du refrain de Two Lovers. Je veux être giflé par Why Are You Calling. Je veux afficher un sourire nostalgique avec He’s Gone. Je veux chuchoter comme Sarah chuchote sur la fin de The Last Time.
Je peux le dire, tout ici me bouleverse, il y a tout au long de ces chansons, une tristesse constamment éparpillée mais qui ne n’explose jamais vraiment.
On ne cesse de raconter que tout s’use, que tout se flétrit. Cette perspective de l’amour éphémère, du désir qui s’étiole, de la lassitude programmée, est surreprésentée en amour, mais elle finit par contaminer toutes les sphères de l’existence et y compris la musique. N’en croyez rien, avec Saint Etienne, ce n’est pas la tristesse qui durera mais l’amour.