Conny Plank : The potential of noise, traduit en français par Arte sous le titre Mon père, Conny Plank, révolutionnaire du son, est enfin diffusé ce vendredi 3 mai par la chaîne franco-allemande, un an après avoir été présenté en France lors du festival Musical Écran à Bordeaux. De facture assez classique, ce documentaire a été co-réalisé par son fils, Stefan Plank et le suisse Reto Caduff. Une aubaine pour tous ceux qui sont familiers du plus grand producteur musical allemand de l’après-guerre (Giorgio Moroder est italien) comme pour les curieux d’en savoir plus sur cette figure tutélaire pop rock au sens large, hélas disparue en 1987 à l’âge de 47 ans.
Preuve de l’intérêt porté à Konrad “Conny” Plank -homme de l’ombre au physique à mi-chemin entre un Bertrand Burgalat barbu et un Fassbinder jovial – dont le nom revient régulièrement quand il est question des sorciers des studios d’enregistrement, la participation de Scorpions, représenté par son chanteur Klaus Meine et son guitariste Rudolf Schenker, n’est pas vécue comme une punition mais bien comme un éclairage intéressant sur le statut de groupe de rock allemand dans les années 1970. Qui arriverait à vous faire croire qu’Eurythmics a toute sa place dans le panthéon des groupes à synthés des années 1980 derrière les intouchables New Order et autres Depeche Mode ? Conny Plank a produit en 1981 le premier album In The Garden, sur lequel figurent Clem Burke, batteur de Blondie, mais aussi Robert Görl, moitié de Deutsch Amerikanische Freundschaft (D.A.F.), et la section rythmique de Can.
Dave Stewart d’Eurythmics explique avoir invité Conny Plank avec femme et enfant lors d’une tournée japonaise en 1987, pour l’inciter à produire à nouveau Eurythmics et redonner, en accord avec la chanteuse Annie Lennox, un éventuel second souffle à leur binôme en perte de vitesse. Et salue en Conny Plank un producteur qui ignorait les règles. Qui d’autre arriverait à vous intéresser – un minimum – à la chanteuse italienne Gianna Nannini, sœur aînée du pilote de Formule 1 Alessandro Nannini, vainqueur du Grand Prix du Japon en 1989 et interprète de la scie I Maschi ? Pour ceux qui se demandent encore ce que Conny Plank a donc bien pu apporter à la “pop moderne”, la séquence en montage alterné avec Robert Görl de D.A.F. et Daniel Miller, responsable d’un label Mute alors balbutiant, avec en fond sonore l’hallucinant Der Mussolini (1981), vaut le détour. Daniel Miller évoque le doux géant Conny Plank comme l’un de ses héros, punk sans le savoir dans un monde de hippies, avant même leur rencontre pour mieux le découvrir capable de faire accoucher les artistes sans les brusquer, producteur à l’écoute plutôt que dépositaire d’un son qui lui serait propre. Jaz Coleman de Killing Joke se souvient pour sa part de Conny Plank comme d’un révolutionnaire musical et politique. Et faut-il encore croire au hasard d’un Vienna d’Ultravox produit par Plank et samplé une décennie plus tard par Andy Weatherall pour le Higher Than The Sun de Primal Scream à son sommet créatif ?
Ce documentaire, réalisé avec Reto Caduff par Stephan Plank, qui avait 13 ans à la mort de son père, est un travail au long cours. Les Anglo-Saxons parleraient de “labour of love” à l’aune de ce qui ressemble à une quête filiale, incarnée parfois de façon trop encombrante. L’interview avec Catherine Ringer et Fred Chichin des Rita Mitsouko, dont Conny Plank avait produit le premier album sans titre en 1984, avec son tube inusable Marcia Baila, prouve que le projet de film sur papa Plank remonte à un bail. Pour The No Comprendo en 1986 puis Marc Et Robert en 1988, les Rita Mitsouko feront appel à Tony Visconti, producteur de Bowie, dont il est évidemment question au cours du documentaire. La filiation entre krautrock, avec pour premier intervenant à l’écran le guitariste Michael Rother (Kraftwerk, Neu! et Harmonia), le pionnier Hans-Joachim Roedelius (Kluster/Cluster, Harmonia), puis en fin de parcours Holger Czukay, le bassiste de Can décédé fin 2017, et période “berlinoise” du chanteur caméléon, n’a pas besoin ici d’être rappelée. Mais Gerald V. Casale de Devo raconte comment de fil en aiguille, sa formation pressentie pour être produite par Bowie s’était retrouvée avec Brian Eno puis avec Eno et Plank dans son studio, une ancienne porcherie à Wolperath, à une demie-heure de Cologne, pour finaliser l’emblématique chanson Mongoloid. Une décennie plus tard, Conny Plank refusera pourtant l’invitation du même Eno de produire U2 sans mâcher ses mots à propos du chanteur Bono.
Autre moment fort, les retrouvailles de Stephen Plank avec Jalil Hutchins et John Fletcher, les deux voix du groupe de rap américain Whodini, dont deux des chansons sur son premier album sans titre avaient été produites à domicile par son père en 1983. Le choc entre New York et la campagne allemande avait été sévère pour les Whodini qui avaient flippé avant de se rassurer à la découverte dans les toilettes de leur hôte, producteur en 1970 du tout premier Kraftwerk, le groupe européen samplé en 1982 par leur contemporain Afrika Bambaataa pour son Planet Rock, d’une jolie collection de disques d’or.
La dernière demie-heure a beau flirter avec le pur et simple film de famille, le retour sur son enfance du fils Plank recoupe la démarche de Conny et ses amis à la recherche d’un son “continental”, européen plutôt qu’exclusivement anglo-saxon. Contrairement à beaucoup de producteurs musicaux qui connaissent leur heure de gloire avant d’être moins recherchés faute d’avoir su se renouveler, Conny Plank aurait sans doute été à l’aise dans les années 1990 comme lors des décennies suivantes. Peu avant la fin de sa vie, Conny Plank en tournée avec des amis musiciens, dont Dieter Moebius, en Amérique du Sud semble fin prêt à s’intéresser à ce qui était alors qualifié en France par Jean-François Bizot et son magazine Actuel de “sono mondiale” plutôt que de “world music”. Drôle de vision que ces Allemands en train de reprendre lors d’un repas au bout du monde Non, je ne regrette rien de Piaf… Peu après, Conny Plank est emporté par un cancer du larynx. Derrière chaque grand homme, il y a une femme, dit le cliché. Christa Fast a dirigé le studio d’enregistrement initié en 1973 jusqu’à sa liquidation en mai 2006 avant démantèlement, avant de mourir le mois suivant.