C’est un album qui a à peine existé, obsolète avant d’avoir vécu, égaré à côté de son époque dès sa sortie, en 1971. A côté de toutes les époques, d’ailleurs, puisque les quelques rééditions – une en CD en 2004, l’autre en vinyl en 2012 – sont rapidement devenues introuvables. C’est donc peu dire que cette ultime tentative pour rattraper les décennies perdues, à l’instigation de l’excellent label espagnol You Are The Cosmos, est bienvenue. C’est surtout un album qui pratique la nostalgie à chaud, proclamant en acte son amour pour une époque déjà révolue – la première partie des sixties – sans le moindre espoir de la ressusciter au-delà des quelques minutes que durent chacune de ces douze chansons. Un album composé par ceux qui ont déjà trop vécu pour entretenir encore la moindre illusion. Un très grand album de passions musicales résignées.
Ce n’est certes pas un hasard si c’est grâce à Greg Shaw que le souvenir de Rockin’ Horse a survécu partiellement à l’oubli dans la seconde moitié des années 1970. Il est facile de discerner ce qu’a pu reconnaître d’attirant et de familier, de l’autre côté de l’Atlantique, le fondateur du magazine BOMP! puis du label afférent dans ces mélodies négligemment bouclées en trois minutes chrono, ces refrains efficaces et dépourvus de toute forme de prétention progressive. Huit ans après, Shaw prend même l’initiative de rééditer le premier des deux seuls singles de Rockin’ Horse – Biggest Gossip In Town, 1971 – en proclamant qu’il s’agit, à ses yeux experts, d’un des jalons fondateurs de la power pop embryonnaire.
Le diagnostic est formellement juste et méconnait pourtant une bonne partie de la spécificité essentielle qui s’entend ici. Rockin’ Horse partage en effet avec d’autres acteurs importants et plus connus de cette résurgence musicale du début des années 1970 – la sainte trinité Big Star, Badfinger, Raspberries pour faire rapide – la conviction profonde que quelque chose d’indispensable s’est égaré dans les méandres du psychédélisme et qu’il est opportun d’en revenir à une pop plus directe, plus primitive et plus authentique. Mais, contrairement à tous ses camarades en nostalgie adolescente, les membres fondateurs de l’éphémère formation britannique ont déjà vécu en direct l’intégralité de cette histoire et ont eu l’occasion de contempler de leurs propres yeux la perte de l’innocence. Leur fascination audible pour les Beatles n’est pas le produit d’une sidération à distance ou d’une idolâtrie rétrospective : ils étaient là, sur place, dès le début. Jimmy Campbell et Billy Kinsley sont nés à Liverpool et appartiennent à la même génération que les Fab Four. Au sein de diverses formations de second rang – The Kirbys, 23rd Turnoff, The Merseybeats, ils les ont même côtoyés, avant la gloire, sur la scène du Cavern Club. Le tourbillon de la beatlemania a tout balayé mais, sept ans et quelques péripéties plus tard, Campbell et Kinsley se retrouvent échoués sur les mêmes rives.
Quand ils parviennent jusque dans les studios Majestic à Clapham, à l’automne 1970, c’est pour y enregistrer ce qu’ils conçoivent d’emblée comme un baroud d’honneur sans lendemain probable – une brève tournée suivra, en première partie de Chuck Berry, et puis plus rien – plutôt que comme une véritable deuxième chance. Un simple coup d’éclat pour l’honneur, en hommage à leurs premières amours de jeunesse – les mélodies soignées, les rythmiques basiques, les harmonies vocales inspirées des Everly Brothers – mais nourri des robustes compétences instrumentales accumulées tout au long des années soixante. Un disque qui témoigne aussi, de façon poignante et rare, de l’indifférence et de l’insuccès – dans sa version romantique, évidemment, comme sur Don’t You Ever Think I Cry, mais aussi dans ses dimensions artistiques et professionnelles pour Golden Opportunity, sans doute l’une des plus belles chansons de Campbell.
Un constat d’échec comme on en rarement entendu, implacable, bouleversant de sincérité lucide et dénué de toute complaisance : » You don’t have to believe me but I’m very sensitive/ I turned down so many parts that later became hits/ All because I thought it my duty to do so « . Tout est dit : il est un peu tard pour rêver ; les plats ne repasseront plus. Raison de plus pour jouer libérés, comme on dit à Anfield, sans se préoccuper des conséquences. Une implication nonchalante qui confère à Yes It Is une bonne partie de son charme tenace et qui résiste fort bien aux outrages du temps, y compris pour les compositions plus légères, voire plus anecdotiques – Oh Carol, I’m So Sad par exemple. Campbell y pousse la voix avec une intensité qui emporte la conviction. A l’arrière-plan, le groupe claudique parfois un peu mais les imprécisions sont dosées avec suffisamment de parcimonie pour ne pas altérer la cohérence collective, une peu comme chez The Band ou Faces. La proclamation d’amour pour une époque et une œuvre révolues se joue ici au présent, dans l’instant, sans retouches formelles destinées à peaufiner une tentative un peu vaine de reconstitution. Pour s’en tenir à LA référence centrale assumée par Campbell et Kinsley – même le nom du groupe est choisi en clin d’œil au troisième couplet de Lucy In The Sky With Diamonds – il ne s’agit pas de pasticher With The Beatles, 1963 mais plutôt d’inventer une alternative crédible à Let It Be, 1970, cet album de l’impossible retour aux sources. Un demi-siècle plus tard, force est de constater qu’ils ont quasiment réussi.
Dites-donc les petits amis, ça a un peu sombré dans l’oubli par ici…