Redd Kross, Phaseshifter, (This Way Up/Mercury, 1993)

Redd Kross, PhaseshifterLaissez-moi vous parler d’un temps que les moins de trente-cinq ans ne peuvent pas franchement se représenter. Un temps où UN SEUL disque pouvait rester introuvable assez longtemps. Une époque, bénie ou non, où le combustible d’un FANtasme pouvait rester à vif à rougeoyer assez longtemps. Un temps où la quête était probablement plus importante que son objet. Et l’objet, le grand secret, en l’occurrence ce n’est pas ce disque mais bien le précédent album de Redd Kross, Third Eye, paru chez Atlantic (une major, un comble) en 1990. On a eu beau faire quelques belles maraudes (en France, dans l’espace Schengen, en région et au Royaume Uni), impossible de mettre la main sur Third Eye, le disque d’un groupe qui alors, dans notre petit cercle d’initiés, jouit d’une encore plus grande renommée cool que, au hasard, les Beastie Boys. C’est rigoureusement exagéré (les rappeurs du Bronx n’ont pas vraiment encore tout à fait regagné leurs galons dans la sphère indie) mais ça vous donne une assez belle idée du charisme rétrospectif et toutefois intact de Redd Kross. Bisque bisque rage mais pas si grave, au niveau CEE (les îles britanniques y sont encore) nous avons The Pooh Sticks sous la main, un groupe gallois excessif qui prône également un retour glamour aux bonnes vieilles valeurs du, lâchons les chiens, classic rock. Comme chez les Américains, le détournement et l’ironie ne se départissent jamais d’un respect profond et inaltérable.

Premier indice en Écosse sur la compilation Good Feeling (1989) du label 53rd &3rd du grand copain gourou Stephen Pastel, où Redd Kross figurent aux côtés de Loop, Beat Happening et Sonic Youth. Le morceau s’intitule Blow You A Kiss In The Wind et scelle la rencontre au sommet des Ramones, de Kiss et d’un antique garage rock.

On trouve ensuite (en solde à la Fnac pour 10 francs* comme The Rich Man’s Eight Track Tape de Big Black, un signe sans doute) Born Innocent, leur premier album plus que juvénile (le batteur à 9 ans, le reste du groupe ne dépasse pas l’âge canonique de 14 ans, le premier morceau est un tube et il s’intitule Linda Blair) du hardcore Biactol qu’on stocke pour plus tard. Sonic Youth en parlent à longueur d’interview, Shonen Knife intitulent un morceau du nom du groupe (qui lui rend d’ailleurs l’appareil), on a quand même vu la pochette (un peu décalée-ridicule pour nos cervelles de moineaux cutie mongol de l’époque) mais impossible de trouver le disque. Paris, Lyon, Freiburg, Strasbourg, Londres, Grenoble. Rien. Nib. Queue dalle, Peau de zob.

Il faudra donc attendre la sortie d’un single (pris dans les deux formats du coup, ref TWANG14 pour les fétichistes) sur notre label de référence Seminal Twang pour enfin poser une oreille sur la musique, tant attendue, tant espérée, de Redd Kross.

Trance nous met en transe, nous ne captons pas forcément l’emprunt Black Sabbath de Huge Wonder mais un peu plus tard, sort Phaseshifter. Qui est censé être trouvable en France. Et que je n’achète pas à la Fnac, ni chez un disquaire indé mais bien dans une boutique d’occasion quelques semaines avant sa sortie officielle. Merci au chroniqueur sourdingue de la PQR qui n’a pas jugé utile de l’écouter au moins une fois. Pour ma part au-delà de l’illumination et des petits signes de connivence d’un entresoi qui ne demande qu’à mûrir — un des mecs porte un ticheurte à manches longues de Teenage Fanclub que j’ai aussi moi-même, je peine à cacher ma déception**. C’est un peu brutal, voire vulgaire. Mais des trente ans après c’est assurément un classique mineur, ne vous déplaise.

Outre les deux morceaux éclaireurs, quelques perles. La plus douce, vers la fin, Saragon, l’éclipse pop du disque, qui n’oublie pas la puissance mais fait presque figure de ballade bucolique au regard des autres scies incluses. 

Des morceaux bravaches, confondant de fausse virilité ; en somme : américains pour le meilleur ET le pire.

Jimmy’s Fantasy qui se penche de manière à la fois ironique et amicale sur les platebandes de Nirvana tout en défonçant sur une note de Fender Rhodes sur le refrain les gueux de la nation grunge (pas Nirvana, les autres, les mauvais). Avec un break à la Kiss dont vous me donnerez des nouvelles et un solo pas piqué des hannetons. On est sur du poids lourd de la frimasse finasse assumée, dans la plus haute noblesse du heavy rock. Avec Jason Lee en feat. dans le scopitone.

Lady In The Front Row met une belle teub au polish à ces Weezer à venir, le genre de morceau pour dodeliner de la tête et en fait pas si loin, venons-y, d’un Ween, autres grands pourfendeurs des règles d’une Amérique en mal d’humanisme dans la sphère déconstructiviste mais surdiplômée. Comme eux, ils ne respectent rien en façade mais ils savent tout et ils aiment vraiment ça. Toute la nuance entre le punk et l’impolitesse. Et encore c’était il y a plus de trente ans, c’est bien pire aujourd’hui. Monolith, moins lourd que son intitulé c’est Mc Cartney chez Big Star avec un son de guitare assez toxique en filigrane. Crazy World, c’est tout à fond, mais avec la mesure. Un peu comme du Melvins de tanches. En mieux. Pay For Love, c’est effectivement The Lemon Twigs, avec des guitares à 11. Le reste à l’avenant. Une dissertation lettrée sur le rock américain de l’époque (le grunge donc) mais aussi un truc de malins qui trace une vraie généalogie des forces en présence car l’ombre de Cheap Trick y plane mollement mais en permanence, tel un zeppelin bienveillant.

Sous des dehors rugueux, une véritable symphonie d’amour à la power pop. Et vos petits chouchous du moment (The Lemon Twigs) espérant toujours ne pas être découverts dans les emprunts certifiés. Les deux formations partagent d’ailleurs plus d’un pli de belote. Le fait d’avoir commencé à un stade pré nubile, des têtes androgynes impossibles et l’excellence. Mais bon, je vous laisse faire vos expériences d’écoutes attentives. Ce serait bien qu’ils avouent à un moment quand même. Et loin de moi la taquinerie. Je ne suis pas sûr que cela les desserve tout à fait.

Il y aura d’autres disques super coolosses des frères Mac Donald, Show World en 96, à peu près bien promu et avec un certain Brian Reitzell (futur batteur d’Air mais pas que) puis un long silence jusqu’à l’excellent comeback avec Researching The Blues chez Merge en 2012. Une tournée prévue torpillée par un virus fourbe et désormais un nouvel album, auto intitulé et double (chez In The Red) et enfin, surtout une date à Paris, ce jeudi 17 octobre à Petit Bain***, prenez vos places si ce n’est déjà fait.

Zadigs du rock américain, toujours en embuscade ou à collaborer avec de biens pires qu’eux — les Melvins dont le batteur Dale Crover assurera et la première partie et les tambours et dont Jeff Mc Donald tient la basse depuis quelques saisons — on notera que pour les frères Mac Donald tout a commencé à Hawthorne, banlieue de L.A. Dont sont aussi originaires et les Beach Boys et qui abrite de nos jours le siège « social » des sociétés de ce grand clown d’Elon Musk. Et pour la petite histoire, Third Eye, au dernier recensement, ne fait toujours pas partie de ma collection. Mais je garde espoir.

*1, 5 euros mais avec l’inflation et les prolégomènes on peut largement monter à 5 voire 8, m’enfin pas trop cher pour un budget étudiant 

**on peut en parler avec du recul, Renaud S. no problemo

*** alors que ces types devraient au minimum remplir le Zénith. Si elle n’est pas là, la grande escroquerie du rock’n’roll…

Redd Kross est en concert ce Jeudi 17 Octobre à Petit Bain et le lendemain à L’Aeronef à Lille. Le documentaire tant attendu, Born Innocent, The Redd Kross Story réalisé par Andrew Reich devrait également sortir très prochainement.

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