Les vertus auditives et indirectes du confinement continuent, à juste titre, d’être suffisamment soulignées pour que l’on s’attarde un instant sur le revers de la médaille. Alors que le temps s’étiole et se fige, l’investigation archéologico-réflexive des vestiges de nos propres passions musicales ne cesse d’apparaître comme un dérivatif captivant à la circularité de l’ennui. Comme autant de Xavier de Maistre de fortune, contraints de tirer le moins mauvais parti possible de l’autarcie provisoire, nous voyageons autour de nos discothèques pour y redécouvrir des mondes oubliés. Les souvenirs réconfortent ; les oublis se réparent : tout cela est bel et bon mais laisse peu de place, paradoxalement, à l’irruption de la nouveauté. Alors que les sources d’approvisionnement en musique fraîche tendent à se tarir et que les sorties attendues sont souvent différées aux calendes automnales déconfinées, la pénurie et la profusion œuvrent ainsi de pair. Pourquoi risquer de perdre son temps, même dilué, à explorer le superflu et l’incertain quand l’essentiel est en permanence à portée de mains et d’oreilles ?
Dans cet univers saturé par le confort des valeurs-refuges, il arrive pourtant qu’un petit disque de pas-grand-chose se faufile entre les sillons imposants des mastodontes. Collection 1 de Red Skylark est de ceux-là. Il y a quelques jours, on ignorait encore tout ou presque de Ed Shuttleworth et de ces quatorze chansons précieuses et graciles, composées entre 2015 et 2020. Ce sont elles qui se sont insinuées dans les interstices des pesanteurs quotidiennes pour en remplir instantanément les mornes vides. Quelques clics ont suffi pour vérifier que, en de telles circonstances, le hasard n’est jamais absolu et que les connections qui mènent à Red Skylark – et donc à Columbus dans l’Ohio – passent par quelques points familiers et reconnaissables : Matt Berninger de The National avec qui Shuttleworth a très brièvement collaboré ; Jeff Shelton de The Well-Wishers, autre figure prolifique de la scène power-pop américaine qui a, le premier, vanté les mérites d’une découverte qui n’en est donc pas tout à fait une. Familières, en effet : ces chansons le sont tout autant. Les échos y résonnent souvent des guitares carillonnantes et des arpèges à l’électricité tordue qui constituaient, il y a trente-cinq ans environ, la marque de fabrique tant aimée d’une scène américaine qui prenait son envol dans le sillage modernisé des Byrds. En entendant ces Shiver, Tear Me et autres Justified, leurs noms resurgissent inévitablement, portés par les effluves encore mystérieuses des premiers R.E.M. : Guadalcanal Diary, The Windbreakers ou Game Theory. Shuttleworth possède cependant assez de verve singulière pour s’abstraire de ce cadre balisé et s’aventurer sur des pistes plus personnelles, où son sens remarquable des harmonies vocales et du songwriting font régulièrement merveille : en témoignent tout autant la puissance énergique de Love Airwave que les méandres psychédéliques attrayants de Soft Sole. Nouveau mais pas trop, l’album finit par décloisonner les parois étanches qui séparent le temps de l’actualité musicale fugace de celui, parfois trop écrasant, de l’Histoire majeure.