Cette année, Born Bad fête sa centième référence en publiant une compilation de Pierre Vassiliu. Nous n’aurions pas parié beaucoup là-dessus, il y a une dizaine d’années, et pourtant, la cohérence de ce choix est indiscutable dans le parcours du label francilien. Déjà en 2016, Jean-Baptiste Guillot publiait des morceaux inédits de l’intéressé sous forme de 45 tours, composé d’extraits de la bande originale de Ils… , un film français de 1970 réalisé par Jean-Daniel Simon. Surtout, Born Bad est une maison ouverte et éclectique, loin de l’image de label garage-punk chauffé à blanc qui lui colle parfois à la peau. Dès 2006, la structure de Romainville explorait ainsi la pop synthétique et le post-punk à travers la mythique compilation BIPPP, un mouvement osé, à une époque où cela n’intéressait pas tant de monde que cela. Resituons: alors que les américains de Minimal Wave éditaient leurs premières rééditions (le label a été fondé un an plus tôt), du coté de la France, c’est le calme plat. Douze ans après, la compilation continue d’être repressée régulièrement; et Touche Pas Mon Sexe (Comix), Contagion (À Trois dans les WC) ou Polaroid Roman Photo (Ruth) continuent de hanter les playlists de vos bars favoris. D’une certaine façon, Pierre Vassiliu a aussi largement souffert d’une image en décalage avec la réalité de ce qu’il faisait. Le chanteur démarra sa carrière dans les cabarets rive gauche au début des années 1960 et obtint un énorme succès en 1962 avec son premier 45 tours, La Femme Du Sergent, dans un registre de chanson humoristique. Il eut comme beaucoup d’autres, de Nino Ferrer à Martin Circus en passant par Henri Salvador, des difficultés à faire reconnaître sa délicatesse et sa poésie. Il s’en écartait parfois (Le Manège Enchanté présent sur la compilation, la participation au magnifique album bossa des Masques) sans pouvoir définitivement arrêter son personnage de chanteur drôle. En 1970, après une petite décennie chez Decca, il signa chez Barclay, avec une promesse de liberté. Un adieu à la gaudriole de courte durée. Après deux albums, Amour Amitié (1970) et Attends (1972), le succès ne venant pas, le label exigea des 45 tours, et l’un d’eux trouva le chemin des radios et le fit vivre pendant une quinzaine d’années. Qui c’est celui là fut expédiée rapidement à la fin d’une session. Reprise d’un classique brésilien de Chico Buarque (Partido Alto), le texte fut cosigné par sa femme Marie Vassiliu (selon les notes accompagnant la compilation) et la chanson destinée à la face B de la magnifique et onirique Film (présente sur Face B). Manque de pot, les programmateurs s’amourachèrent de la chanson drôle, et le reste fait partie de l’histoire. Remercions ainsi Guido Cezarsky, moitié du duo Acid Arab et Born Bad de nous faire découvrir, avec Face B – 1965-1981, un autre Pierre Vassiliu, sensible et élégant, inspiré par la musique pop de Crosby, Stills & Nash et d’autres, à l’instar d’Une Fille Et Trois Garçons, qui évoque Dylan, Leonard Cohen, les Beatles, Blood Sweat and Tears ou Donovan. La compilation est séquencée comme un album, mais malgré l’apparente disparité de l’époque couverte (seize ans), l’ensemble brille par sa cohérence. Cela s’explique aisément : la sélection couvre surtout sa période 70’s, faisant la part belle à de magnifiques guitares acoustiques (On Imagine Le Soleil), des pianos électriques Rhodes gracieux, soit un certain art de l’enregistrement de la variété française. L’époque filtre aussi à travers les paroles. Depuis les hippies d’Une Fille et Trois Garçons jusqu’à la célébration d’une sexualité libre, positive et douce d’En Vadrouille À Montpellier ou Ne Me Laisse Pas, chaque strophe convoque un certain esprit depuis longtemps disparu, voir considéré avec beaucoup de suspicion à l’aune de notre supposée modernité. Il émane ainsi de Face B – 1965-1981, charme, humanité et finesse (sublime Alentour De La Lune), même quand il s’agit de dépeindre la prostitution (Film). Le miracle de Vassiliu réside peut-être là, dans une capacité à saisir son époque, l’esquisser sans nous aveugler et forcer le trait. Soyons ainsi reconnaissants du travail de Guido et JB Guillot de mettre en lumière un chanteur et artiste délicat souvent mis dans l’ombre de ses quelques tubes potaches.
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