J’ai toujours gardé à distance le Jazzbutcher, je ne sais pas trop pourquoi. Il était pourtant l’auteur d’un de mes premiers achats du label Creation, son LP appelé Fishcotheque (1988). En le réécoutant ce matin, j’ai bien aimé ce premier morceau, Next Move Sideways, sur lequel il joue avec cette section rythmique de rêve Morgan–Goulding, celle qui faisait le bonheur de Peter Astor dans les Weather Prophets. J’ai réécouté aussi Looking For Lot 49 qui faisait écho au livre de Pynchon, Vente à la criée du lot 49 qui trainait dans la bibliothèque de mon père et que du coup, j’avais dévoré (le livre, pas mon père), sans rien y comprendre, fin des années 80. J’avais suivi de loin la carrière de Pat Fish en fait, parce que Lawrence, Peter Astor, Dan Treacy ou Stephen Duffy me dessinaient sans doute une plus flamboyante famille anglaise. Je m’étais arrêté après Bicycle Kid, le dernier morceau qui m’avait accroché l’oreille sur le bien nommé Big Planet, Scarey Planet (1989), on ne peut donc pas dire que je suis un spécialiste ou un fan absolu, vous l’êtes tous, lecteurs, sans doute plus que moi. N’empêche, quand je me suis remis à faire l’idiot un fanzine, Langue Pendue qui devait se concentrer sur la langue française dans tous ses états, j’ai tout de suite repensé à lui ou plutôt à cette chanson, La mer pour la colonne « Parlez-vous français ? » : il avait écrit ce classique instantané, mélange de poésie primitive et de non-sens tout britannique qui avait fait le bonheur des concerts d’un groupe français qui, lui, ne s’exprimait alors qu’en anglais, les Little Rabbits. D’ailleurs, il y a fort à parier que pour une grande partie de leurs spectateurs, cette chanson apparaissait comme leur propre tube, sans savoir qu’il s’agissait en fait d’une reprise. J’aimais cette chanson, parce qu’elle nous tendait un miroir, à notre génération qui s’était exprimé principalement en anglais dans nos chansons, et dans le même temps, elle nous prouvait la beauté plastique du français, capable de supporter les déformations enfantines d’un chanteur anglo-saxon. Comme souvent, je redécouvrais ma langue (je vous raconterai un jour comment Stephen Pastel m’a réconcilié avec Chantal Goya) par un crochet en Grande-Bretagne. Un jour de 2018, Pat Fish m’envoya donc un message très gentil pour m’expliquer la genèse d’une chanson, qui j’en suis sûr, fait partie désormais des classiques de la chanson française. Pas un mince exploit pour un roastbeef.
26 novembre 2018, via messenger : « J’aime l’idée de ta chronique et je serais heureux de dire quelque chose sur les origines de La mer. Il se trouve que je me souviens très bien du dimanche après-midi où je l’ai écrite. Je sortais d’un bon gros repas arrosé de vin chez mes parents. N’ayant rien d’autre à faire, je suis retourné chez moi et j’ai commencé à jouer une suite d’accords utilisés dans Stairway to Heaven. Pendant trois ou quatre heures, j’ai travaillé sur ce fichu truc, pour en conclure, à l’heure du thé, que c’était vraiment de la musique de jeune, inutile et prétentieuse, et qu’il valait mieux que je passe à autre chose. Libéré, je me suis mis à gratter le LA mineur et le MI, à la manière très basique de Patrick Fitzgerald, un songwriter punk, assez populaire à l’époque. À ce moment-là, j’écoutais aussi beaucoup Charles Trenet et Jean Sablon, et, pour une raison inconnue, La mer m’est venue. Soudain, je me suis souvenu de toutes ces petites chansons folles qu’on nous enseignait à l’école, pour nous faire apprendre le français. La plupart de ces chansons parlaient d’éléphants, d’une manière ou d’une autre. J’ai commencé par cette folle traduction littérale de The sea comes in, the sea goes out (« la mer va dedans, la mer va dehors »). Je me suis arrêté un instant et je me suis marré : « Tu ne peux pas faire ça ! », un truc habituel dans mon processus d’écriture. Et, en quelques minutes, de façon très étrange, toute la scène a défilé, en français dans le texte. Après avoir galéré pendant des heures, voilà que La mer s’écrivait toute seule, en dix minutes. Pour être honnête, je ne pensais pas que quiconque, après ce dimanche après-midi solitaire, entendrait un jour cette chanson, et certainement pas en France ! Lorsque nous y avons joué pour la première fois en 1986, le groupe m’a demandé si nous allions jouer La mer. « Vous êtes dingues ? On va se faire tuer ! ». Cela montre à quel point on peut se tromper. Meilleures salutations, Pat x ».
PAT FISH EST SOUS ESTIME AUTANT QUE PETER ASTOR EST SURESIME ,et dieu seul sait que j’adore astor mais pat fish est intouchable ,c’est dommage que est gardé la distance avec lui . (Pete Astor est le chanteur des Weather Prophets, un groupe signé sur Creation qui a eu son moment de gloire il y a six mois. Cet ancien journaliste musical est stylé et a des idées sur tout ce qui touche au rock’n’roll. Cela vaut mieux parce qu’il y a une chose qu’il n’a pas : des putains de bonnes chansons ».LUKE HAINES)