Panorama, French Soundtracks & Rarities (Transversales)

Pendant la période 69-80 que couvre cette compilation des très consciencieux Transversales, en gros mes dix premières années sur notre petite planète, j’étais scotché devant la télé. Pas que mes parents me délaissaient, non, mais au milieu d’activités cadrées (devoirs, football puis handball), je m’abandonnais devant le petit écran en noir et blanc de l’appartement de la rue de Ferrette à Belfort (au 47, si vous voulez tout savoir). De la bande-son de la lucarne, j’en ai soupé, génériques d’émissions, musiques d’interludes, bandes originales de séries, téléfilms et magazines, j’en ai gardé un souvenir assez grisaille. Je ne sais pas si les compositeurs de l’époque, que j’imaginais en blouse grise de laborantins, étaient des gros flippés de la vie, mais leur musique me fichait plutôt les chocottes, voire carrément les boules, ou peut-être que j’étais déjà trouillard et mélancolique. Il y avait en tous cas un sentiment d’étrangeté et d’inquiétude que me transmettaient ces musiques de la télévision publique, un truc de sérieux, lié aux sciences, à l’histoire ou à la conquête spatiale, avec des synthés inquiétants qui hululaient parfois comme dans des films d’horreur. On ne peut pas dire qu’on s’éclatait au Sénégal. C’est toute cette nostalgie un peu hantée que je m’apprêtais à éprouver à l’écoute de ce disque, égaré que j’étais par ce très bel emballage de l’impeccable graphiste Jean-Philippe Talaga (que j’avais interviewé dans la section Papivole, il y a quelques années) qui joue avec les formes de l’ancien logo de TF1, alors première chaîne publique.

Et bim, rien à voir. Pas de musiques fonctionnelles ou de Library music comme disent les saxons à l’horizon, même bleutée. Plutôt l’inverse : ici tout est grandiose, ensoleillé, les basses claquent comme des gros élastiques, les chœurs sont nombreux, les guitares cocotent le parfum funky et les cordes se déchaînent. On se croirait à un colloque sur l’influence de la musique romantique du XIXe, du jazz et de l’avant-garde sur la composition pour le cinéma, ou une rencontre de la société de préservation des idées soniques d’Ennio Morricone : il y a de la texture à mort, du timbre de timbré, du mixage ultradynamique, de la stéréo fofolle. C’est presque indécent comme musique. Le trop-plein de couleurs peut déstabiliser, mais on ne va pas faire les rabats-joie, c’est de la musique haut de gamme, le son est magnifique, c’est super beau, du score de brutasse, un peu trop virtuose parfois (Jean Schwarz, calmos). De la qualité française, s’il vous plaît. Popp, Magne, Cosma, Lai ou Goraguer sont au rendez-vous, pour du pur masterclass, Christophe ou Bécaud en invités étranges aussi, des œuvres inimitables de compositeurs que le monde nous envie, un son unique, explorateur, curieux, hanté par les sonorités du progrès et du futur (Menuet spatial, parfait) et plein de ce savoir-faire de ces ingénieurs de l’imaginaire, de ces chirurgiens du cœur ouvert.

On peut féliciter les curateurs de Transversales d’avoir mis en valeur ces pépites – surtout destinées à l’export vu le titre in english ? –  qui sortent quand même de l’ordinaire, en même temps, ça joue sur du velours, vu la profondeur des répertoires de ces gens-là, et on peut raisonnablement envisager Panorama 2 et 3. Nous, notre petit esprit de téléphage en berne s’est amouraché de Maurice Lecoeur, et ses Contes au fil de l’eau ou du Goraguer un peu solennel de La vie sentimentale qui encapsulent une sorte de tristesse éclairée, celle qu’il me semblait recevoir en direct du monde des adultes des seventies, en deuil de quelque chose que je ne comprenais pas trop, sans doute de leur propre enfance.


Panorama, French Soundtracks & Rarities est disponible chez Transversales.

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