La plaie infestée du monde récent grouille de vers immondes. La saloperie la plus vile s’immisce partout, ça fait longtemps. Mais elle se cache de moins en moins. Avant les barricades, la nausée ultime ou plus vraisemblablement un suicide collectif, un sursaut illusoire, un peu de recul.
Le silence. Solution / Négation.
Les deux individus qui sévissent ici en sont grandement coutumiers. Gloire à eux, au plus haut des cieux. D’un côté Mark Nelson, sylphidre ambassadeur d’une contusion neigeuse chez Labradford, puis plus exotique en solitaire sous bannière Pan American. Puis récemment Anjou, vin de Loire qui a ses qualités. De l’autre Kramer, qui en dehors d’un CV de butor agrégeant les saintes écritures de notre grand monde parallèle en tant que producteur, restera aussi et surtout comme l’homme, qui, l’air de rien ou presque, amena un groupe de pop perverse qui s’ignorait encore (Galaxie 500, pour ne pas les nommer) vers un Everest de l’espace dans la dilution sonique. Imaginons ces deux-là à l’unisson. Réécoutons d’un air contrit tous nos grands disques du silence. Traçons évidemment un parallèle avec Evening Star, ce disque systématiquement relégué en seconde position dans la pourtant très grande patouille de deux autres génies (Robert Fripp et Brian Eno) au profit d’un (No Pussyfooting) qui mentionne toutefois (et c’est pas les allemands qui l’ont inventé) la croix gammée. Autant s’attendre à une autre dilution, une petite teuf du rien ?
En fait, et c’est là où ce disque est infiniment toxique, c’est que dans l’exercice du silence, il peine à se tenir, à taire ses grandes préoccupations, son angoisse fondamentale, son anxiété. Si l’écoute précoce de Labradford faisait une jonction aussi sublime entre les mondes encore à explorer et ceux dont nous réchappions sans douleurs ni désirs d’y retourner ou si peu alors (stèle de Vini R., tombeau ralenti de Peter H., crampe de l’écrivain de Robert S.), celle de Reverberations Of Traffic on Redding Road fait un ravissement pessimiste de haut vol. Rétrospectif un peu aussi. Mais il ne me semble pas tout à fait anodin de décréter qu’il est d’ores et déjà, un dernier témoignage potent, aigre et plausible, du génie humain dans la dilatation du silence, cette apocalypse passive, tant crainte mais finalement souhaitée.
Manière de dire, en onze vignettes de moins de quatre minutes et une apothéose qui dépasse de peu les dix : je ne vous ai pas attendu, je suis encore là mais je suis déjà parti. Du haut du toit d’un tiers-lieu alternatif, ou plus vraisemblablement du plus plus profond de leurs comptes en Suisse, certains pleurent de honte et de ravissement devant tant de beauté.