La carrière d’Otis Redding se révéla météorique. Le chanteur de Macon (Géorgie) n’enregistra sous son nom que pendant sept ans, de 1960 à 1967, date de son décès. Il ne publia, de son vivant, que six albums studios, entre 1964 et 1967, véritables points culminants d’une carrière arrêtée en plein vol. Le destin tragique d’Otis, un accident d’avion (avec une partie des Bar-Kays qui l’accompagnait), marqua les esprits et contribua à établir la légende. Pourtant, le chanteur afro-américain fit beaucoup pour la soul de son vivant. Il participa activement au succès de la musique noire auprès d’un public blanc encore très conservateur.
Sa présence au festival de Monterey reste un marqueur important des années soixante, au même titre que la prestation incendiaire de Sly & The Family Stone quelques mois plus tard à Woodstock. Au delà d’être un des premiers chanteurs noirs à devenir aussi populaire, Otis Redding avait une voix et une attitude unique, un truc profondément humain et puissant. Son répertoire se partage entre compositions originales, standards et reprises empruntés dans les tubes rock du moment. Il le décline à merveille sur Live In Europe, unique enregistrement de concert paru de son vivant. Captation de concerts à Paris (à l’Olympia) et Londres en Mars 1967, Live in Europe offre un témoignage fantastique sur la musique d’Otis Redding dans une ambiance proprement survoltée. S’il y a beaucoup à redire sur la prise de son, à peine meilleure qu’un bootleg, la réaction du public justifie presque à elle seule d’écouter ce disque. Les spectateurs se déchaînent. Sur scène, Otis Redding et son backing band légendaire semblent eux aussi possédés. Ils offrent une décharge d’énergie qui manque parfois aux enregistrements réalisés en studio.
La crème des musiciens Stax (et donc southern soul) accompagne le chanteur afro-américain : Wayne Jackson, Andrew Love, Joe Arnold, Booker T Jones, Steve Cropper, Donald « Duck » Dunn et Al Jackson Jr. Ces derniers ne forment pas moins que l’ossature du célèbre groupe Booker T and the MGs (Green Onions, Time is Tight, Hip Hug-Her) ainsi que des Memphis Horns. Dès les premières secondes de Respect (écrite par Otis Redding), nous sommes plongés dans un tourbillon frénétique à la fois chaleureux et intense. Le chanteur de Macon peine à retrouver son souffle, l’ensemble est un peu bancal mais ça balance tellement ! La suite est du même tonneau, avec des versions véloces de Can’t Turn You Loose, Shake (emprunté à Sam Cooke, idole d’Otis) ou Satisfaction des Stones que l’artiste afro-américain se réapproprie parfaitement. Le groupe baisse aussi le régime de temps en temps, histoire de faire découvrir les autres facettes d’Otis Redding. I’ve been Loving You Too Long semble porté par la grâce et s’enchaîne parfaitement avec une bonne reprise de My Girl des Tempations, même si l’original reste indépassable. Try a Little Tenderness conclut magistralement le disque. S’il ne l’a pas écrite, Otis en éclipse toutes les autres versions. Il en livre ici une version déchirante dans laquelle les musiciens lévitent au dessus d’une houle créée par l’acclamation du public en transe. Si Live In Europe ne peut prétendre au statut de classique, l’album libère une intense générosité à laquelle il est difficile de rester insensible.