Rezé, petite ville accrochée tout contre Nantes, avec ses humeurs moins gracieuses. La nuit transporte déjà ses grumeaux de vapeurs entre des barres HLM identiques à souhait. La soirée s’annonce astucieuse, enfournée qu’elle est dans ce lieu-dit : Barakason. Avec son entrée de piscine municipale, le lieu a tout pour me plaire : pas glamour, un brin déglingué, un subtil anonymat.
Le premier groupe, Here Lies Man, projette à peu près tout ce qui m’ennuie. Virtuosité, blues, musique de fans faite par des fans. Un groupe pour vidéo-club. J’ai l’impression de voir des mecs passionnés de jeux de rôles entrain de peindre des petites figurines de gobelins. Une certaine idée de l’enfer. Manque plus qu’ils citent – pendant leurs intermèdes entre chaque morceaux – Pat Metheny et Tolkien : pour moi, la messe sera dite. Mais, tout comme le rock progressif, dans ces musiques de références entassées, dans ces mille-feuilles un chouïa gras, viennent parfois des instants de gloire. Here Lies Man file l’envie de retourner voir du Dario Argento, de réécouter du Fabio Frizzi et du John Carpenter. Un set cinématographique, un brin trop propre. Heureusement, une étrange créature entre homme/femme/licorne me demande entre chaque morceau si cela me plait. Je fais mon concentré en évitant de regarder une crinière bleue nuit traînant bien derrière des fesses rebondies. Le spectacle est bien là où on le souhaite. La suite? Direction vers le bar – non pas que pour l’amour des IPA et autres bières « moustaches », mais bien pour aller voir Yonatan Gat.
Ce type est déjà un génie pour moi car son dernier album, Universalists, est produit par David Berman, ancien gourou des Silver Jews. Entouré d’une petite foule amassée, Yonatan Gat va livrer avec son groupe, une prestation sauvage, lyrique, nomade et rêveuse. Cela ressemble à un combat illicite. La sueur en étincelle, la musique comme rite étrange où Gospeed You ! Black Emperor rencontre les arpèges orientaux des Doors, Yonatan Gat déploie le fantasme de son univers sonore. On file, avec lui, le long de rivières au débit abrupt, on traverse des jungles en forme de prison végétale, on remarque des amours interdits. C’est violent, c’est lyrique. Les notes justes viennent s’engourdir dans de faux accords, le Klezmer s’invite au Mali, Slint trousse un groupe de rock assigné à jouer dans les pubs. C’est carnavalesque et austère à la fois. Magie noire qui laisse l’auditorium un brin interdit. Une jeune femme s’essaie, à la fin du concert, à allumer sa clope en pleine salle. Elle se reprend soudainement et cours dehors. La raison a quitté le navire.
J’apprends, en retournant dans la salle principale, que Ian Svenonius sera bien seul sur scène. Son accompagnatrice étant restée, boudeuse, avec les douaniers de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle. Ce type est un héros underground. Un jour, dans une vie antérieure, on l’a vu trémousser son cul avec son groupe de l’époque, The Make Up, dans une émission nommée Nulle Part Ailleurs. Gildas mort, Svenonius vient nous rappeler toute cette période révolue. Lui, il s’embarque seul, le crin noir et la mauvaise mine, sur scène. Le mec porte à gauche, concernant la guitare. Il boulotte rapidement son américain devant une salle clairsemée. Un charabia énervé et situationniste. En avant guerre ! Sorte de sosie de Prince, mais un Prince venant de Bucarest, cette longue tige gigote, feule, crie, singe l’orgasme. Il envahit la scène alors que sa musique est rachitique. Un Alan Vega étalé sur une longue craquotte, cela donne quoi ? Cela rend une musique collante de sperme et de fièvre. Svenonius a dix fois plus de charisme que vingt camions d’Andy Shauf. On adore Andy Shauf, oui, mais scéniquement c’est les petits chanteurs à la Croix de Bois. Bref, je m’égare, tout m’égare en cette fin de soirée. Svenonius grille sa guitare, fait cuire sa boîte à rythme en secouant son bassin. Je n’attends pas la dernière chanson. Escape-Ism. Sur le chemin du retour, après avoir refusé différents stupéfiants à des jeunes gars aux survêtements super bien repassés, je retrouve ma licorne à la chevelure nuit, pissant debout dans les buissons. Il n’y a plus de tramways. J’ai envie d’une clope et d’écouter du Martin Rev. Je ferai plusieurs kilomètres à pieds, la vie est belle. Merci Soy.