Dans les mesures finales de Jet Pac Boomerang, l’une des chansons de son nouvel album – le premier depuis une grosse dizaine d’années – Nick Lowe se permet de glisser une citation des Beatles en guise de conclusion. Quelques notes et peu de mots extraits de Please Please Me – « Last night I said these words to my girl. » Pour le fringant jeune homme de soixante-quinze ans, l’histoire musicale semble bien s’être arrêtée au moment où la chanson se termine. En s’acoquinant avec Los Straitjackets, une bande de rockers rétro venus de Nashville et arborant des masques de catcheurs mexicains, l’ex-gendre de Johnny Cash tourne résolument le dos à toute prétention à la modernité pour prolonger sur disque les plaisirs simples et ludiques régulièrement éprouvés sur scène en compagnie du groupe : une célébration joyeuse et formellement irréprochable des musiques populaires américaines solidement connectées à leurs racines et encore préservées des contrecoups de la British Invasion.
Les deux reprises choisies contribuent ainsi à donner le ton : A Quiet Place, obscure pépite soul de 1964 exhumée du répertoire de Garnet Mimms et que la voix patinée de Lowe transporte vers les sommets qu’elle n’aurait jamais dû quitter ; Raincoat In The River que Ricky Nelson avait popularisé au début des années 1960. La plupart des titres originaux et des compositions du maître s’inscrivent dans les prolongements de ces classiques oubliés : un tempo rapide, une interprétation collective très en place et qui bénéficie incontestablement des années de rodage sur scène, une apparente légèreté qui tranche nettement avec les tonalités plus sérieuses et la gravité intime des derniers chefs d’œuvre en date de Lowe – The Impossible Bird (1994), Dig My Mood (1997) et The Convincer (2001), triptyque grandiose et judicieusement republié en 2009 sous le titre de The Brentford Trilogy.
Le temps s’écoule et, mécaniquement, la probabilité augmente que ce dix-septième album puisse être aussi le dernier. Face aux angoisses du grand âge, Lowe a choisi de présenter un visage apparemment badin. Derrière la façade enjouée et le savoir-faire jovial, se dissimulent pourtant des finesses d’écriture d’autant plus appréciables qu’elles autorisent l’expression subtile et pudique des émotions avec une retenue parfaitement accordée au diapason musical. Comme si le retour aux formes archaïques de la pop et du rock devait s’accorder avec une évocation toute en retenue des sentiments les plus profonds, tel qu’on pouvait les entendre évoquer en chanson avant l’ère du songwriting confessionnel et du nombrilisme assumé. Dans ces douze titres, le narrateur est très souvent seul, au milieu de la foule, confronté à une hostilité et une indifférence qui l’obligent à conserver une dignité apparente. L’humour peut aider, bien souvent. Par exemple sur Went To A Party, lorsqu’un prétendu fan dont l’enthousiasme a été excessivement stimulé par la consommation de Campari vient le complimenter sur sa réussite majeure en citant le titre d’un album de Robyn Hitchcock. Blue On Blue, Different Kind Of Blue, Cryin Inside : plus loin, l’accumulation des titres ne trompe pas. L’humeur n’est pas à la gaudriole mais, à l’instar de Roy Orbison ou du Frank Sinatra de In The Wee Small Hours (1955), la solitude constitue à la fois une source d’accablement et un refuge salvateur. Cet équilibre toujours tendu et incertain entre mélancolie et nonchalance contribue largement à faire d’Indoor Safari bien davantage que l’œuvre mineure qu’il semblait être à première écoute. A l’heure des bilans de vie forcément imminents, cet ajout bienvenu à une discographie déjà considérable pèsera sans aucun doute pour confirmer que Nick Lowe n’a rien à envier à personne. Et particulièrement pas à ses anciens camarades de jeu plus cotés – Elvis Costello et Graham Parker en tête.