Monsieur de Foursaings, Voulez-vous me faire la cour ? (1998, Escalator Records)

Il est arrivé en 4L, ou était-ce une 2 CV, dans les petites rues de Sainte-Marie-sur-Mer, près de Pornic. Il s’est présenté à nous, chemise blanche, col ouvert sur un léger foulard de soie, pantalon à pinces de couleur claire sur chaussures cirées, blazer marine à boutons dorés. Mèche de cheveux rabattue délicatement. Il était venu nous rendre visite comme promis pour l’après-midi, quelques jours auparavant, lors d’un tournoi de football rassemblant la crème de la minuscule scène pop française, amoureuse des fanzines, cassettes, 45 tours… Nous étions venus de Paris, de l’Ouest, et de l’Est du pays nous réunir à la Gaube, dans le bocage vendéen. Puis, mes trois camarades et moi avions prolongé, profitant de cette aubaine pour découvrir la campagne et la plage, et planter notre tente dans un minuscule camping côtier. Alors que nous ne le connaissions que sur quelque flexi disque, il venait s’incarner devant nous : avec son charme distingué, ses origines présumées de bonne famille, son humour pince sans rire, il jouait avec ses lunettes de soleil, exhalant un parfum léger en toutes circonstances alors que nous suions comme des bêtes sous le soleil maritime. Il semblait avoir déjà eu plusieurs vies, alors que nous avions le même âge. Il avait déjà lu plusieurs bibliothèques, alors que nous apprenions à lire, c’était Monsieur de Foursaings.

Monsieur de Foursaings dans « Peau de cochon »

Nous l’avons recroisé peu de fois par la suite, mais toujours avec un plaisir non dissimulé. Sur scène d’abord, tandis qu’il accompagnait Katerine aux claviers dans l’une de ses premières tournées, ou au cinéma, quand il apparut dans le film Peau de cochon : le temps avait passé, il narrait, devant la caméra de son fidèle compagnon nantais, dans une scène inquiétante, l’histoire d’un conquérant, Mördig, et de son armée de dindons ! Car si son destin semblait irrémédiablement lié à Philippe Blanchard, a-t-il vraiment voulu qu’il en soit autrement ? Rien n’est moins sûr. Au même titre qu’Anne Moyon, des cassettes Héol, de Bruno, la sœur chanteuse, de Dominique A ou de quelques autres, il faisait partie du premier cercle familial du prodige nantais mais n’a jamais montré en apparence une grande motivation pour se faire connaître autrement. Preuve de cette discrétion, c’est seulement à la demande d’un label japonais francophile, Escalator, tenu à l’époque par Masashi Naka (il tient maintenant le magasin de disques tokyoïte Big Love) qu’il réunit la petite quinzaine de titres dont il était l’heureux auteur en 1998 pour un disque étonnant et peu connu. Voulez-vous me faire la cour ? cultive ce terreau commun à tout ce petit monde, ce même imaginaire entre douceur de vivre et romantisme intemporel. C’est aussi une certaine idée du pays, quelque part façonnée par le cinéma de la Nouvelle Vague parisienne et réinterprétée par une bourgeoisie provinciale réellement bohème et maritime, marinière sur le dos et méduses en plastique transparent aux pieds. Pas étonnant, donc, de retrouver Monsieur de Foursaings dans l’une des pléiades japonaises tant il incarnait une sorte d’idéal du chanteur honnête homme, classe et mélancolique.

Toutes les chansons de Foursaings (ce nom, quand même) explorent les gammes du personnage : amoureux courtois dans de belles mélodies penchées sur piano (les tubes Annie et Ces heures de Loire), à la voix fragile qui court sur des arrangements soyeux (intro et outro de Prélude de la mariée ou le chaloupée de L’automne d’Alice) qui n’ont peut-être pas encore les moyens de leurs ambitions (l’album est quand même enregistré au Garage Hermétique) : « grand » piano, envolées de cordes, rythmiques légères et élégantes, vibrato coquin, trompette douce se battent dans cet espace un peu étriqué, mais l’imagination fait beaucoup pour ces disques conçus trop tôt dans une carrière. Tout prend une belle forme au final, que ce soit la variété toute en douceurs jazzy à la Michel Legrand (Ma demoiselle habile), une marche déchirante (Faut-il mentir ?), une ballade anglophile émouvante (Around Alice) ou un slow d’école (La mariée même). Les exercices de style enchaînés se révèlent cousins de ceux des groupes anglo-saxons, notamment écossais, passionnés, qui recréaient dans leur chambre des maquettes des plages les plus simples des Beach Boys (Noël à Campbon), des rues autour du Brill Building ou les décors sous la pluie de Burt Bacharach (Superstar, Bmx Bandits, en prélude à Belle & Sebastian…) avec l’ombre de Michel Polnareff qui plane sur les chansons au piano comme Voulez-vous me faire la cour ? sans le baroque outrancier du chevelu à lunettes. On peut se demander comment ce disque charmant n’a pas trouvé producteur ou label sur le territoire tant il aurait pu agrémenter les catalogues de, au hasard, Rosebud ou du Village Vert.

Drôle de trajectoire aussi pour Monsieur de Foursaings qui disparaît bel et bien des tablettes suite à cet essai fort satisfaisant, gracieux, non sans ambition. On peut dire qu’il était avec le recul, de surcroît, porteur de plusieurs possibles : variété haut de gamme, chanson orchestrée et ouvragée (Bertrand Burgalat) ou pop nouvelle d’obédience 60/70 (Mehdi Zannad). Comment aurait vieilli musicalement Monsieur de Foursaings, alors ? On ne le saura jamais, il faut s’y faire, ou peut-être demander au principal intéressé qui œuvrerait comme artiste peintre de par chez nous. Finalement, Monsieur de Foursaings reste, au-delà cet objet unique en import, le sujet d’un portrait des plus troublants, dessiné par Katerine lui-même dans une de ses chansons chantée langoureusement par sa sœur Bruno, Les leçons de belles manières (sur l’album L’éducation anglaise, en 1994), tout à sa gloire : « Monsieur de Foursaings, apprenez-moi les belles manières, dites-moi ce qu’il faut faire, ou claquez dans vos mains. Monsieur de Foursaings, je veux vous plaire, quitte à vous plus déplaire, vous êtes plus qu’un mystère, ou claquez dans vos mains. Plus que tout au monde, je veux être une femme du monde, mon éducation est entre vos mains, Monsieur de Foursaings. Monsieur de Foursaings, l’ombre de vos mains. »


Voulez-vous me faire la cour ? par Monsieur de Foursaings est sorti en 1998 sur Escalator Records.

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