Petit événement pour les amateurs de pop ouvragée des années soixante : enfin une réédition des Roche Martin ! Nous étions nombreux à l’espérer. Les deux EPs de 1967 ne viennent pas seuls, mais accompagnés d’inédits. Pour la répartition, Warner a fait simple en choisissant de publier les huit titres déjà existants en 45 tours en face A et les dix nouveaux de l’autre coté. Si le nom de Roche Martin a échappé a beaucoup d’entre vous, ses membres devraient, en revanche, vous parler davantage. Nous y retrouvons en effet François Bernheim et les sœurs Violaine et Véronique Sanson. Le garçon (François Bernheim) a fait une belle carrière dans la musique : directeur artistique chez Barclay, il a écrit (ou co-écrit) de nombreux succès (Mon Mec à Moi de Patricia Kaas ou Non, Non Rien n’a changé des Poppys), sorti des disques sous son nom ou des pseudonymes (Alan Dell). Violaine Sanson, la grande sœur, s’éloigne elle du milieu de la musique peu après l’aventure Roche Martin, malgré d’évidents talents de compositions (par exemple Mon Voisin pour Isabelle de Funès). Inutile de présenter Véronique Sanson dont la magnifique carrière parle pour elle, pourtant tout a démarré avec les Roche Martin. En effet, la chanteuse française y publie pour la première fois une de ses chansons, Maria de Tusha.
Au-delà du parcours de ses membres, les Roche Martin nous ravissent par la beauté de leur musique. Le groupe s’inscrit dans une double tradition. Héritière des ensembles vocaux français des années soixante (Double-Six, Les Masques, les Troubadours, les Swingle Singers), la formation regarde aussi de l’autre coté de l’Atlantique et des meilleurs groupes sunshine pop (The Association, The 5th Dimension, The Cyrkle etc.). Les chansons de 1967 sont stellaires. Comme il est coutume à l’époque (le sort de tous les groupes beat par exemple), les deux EPs n’aboutissent malheureusement pas à la publication d’un album. Il y avait pourtant là matière à un album d’une densité exceptionnelle. Parmi les joyaux des Roche Martin, les frangines Sanson fournissent quelques merveilles. Tu as peur du Bruit est une somptueuse pièce de pop baroque que ne renieraient pas les meilleurs orfèvres du genre (Left Banke, The Zombies).
Les Mains dans les Poches est au moins aussi jolie. Les voix s’y enchevêtrent avec une précision et une délicatesse rares. Sur Maria de Tusha, la bossa nova rencontre la pop nord-américaine psychédélique dans une chanson majestueuse. Les cinq autres titres ne sont pas en reste, comme en témoignent les très réussies Déchéance ou C’est toi qui a gâché notre vie, composée par François Bernheim. Il faut souligner le travail d’orchestration de Hubert Rostaing, parfaitement en raccord avec les compositions des Roche Martin. Sur la face B, nous retrouvons dix inédits, des impromptus saisis sur bande. Le son est étonnamment bon (acoustique, captation, définition) et permet d’entrevoir l’énorme potentiel de la formation. Ces titres (Gare, Si On se Mariait Nous Deux, Une Poussière de Pollen) donnent à entendre une partie du processus de création des Roche Martin. Violaine Sanson précise à ce sujet dans la réédition qu’à l’époque ils composaient « chacun une ou deux chansons par jour, parfois plus ». Ils les enregistraient (comme on le ferait avec la fonction mémo du téléphone portable) sur un « vieux magnétophone ». Ces inédits, captés dans le vif, donnent l’impression d’être dans la pièce avec les Roche Martin, alors âgés entre 18 et 20 ans. S’il manque de la patine des morceaux définitifs de la face A, ces chansons sont particulièrement touchantes. Tout cela (les deux faces) fait de cette réédition de l’œuvre des Roche Martin un immense cadeau, aussi bien aux fans de Véronique Sanson qu’à tous les esthètes de la pop des années 60. Il est temps que le monde (et la France avec) redécouvre les Roche Martin. Partageons ces quelques moments de grâce ensemble, ils nous suspendent des aléas de la vie pour quelques instants.
