Pour la sortie du numéro unique de Mushroom, il fallait frapper fort ! Rappeler ce qu’était la fin des années 80, moment de gestation de Magic Mushroom, ère nouvelle pour la presse indie pop qui allait naître et exploser au cours des 90’s, dans le sillon « ligne claire » initié par Les Inrockuptibles en 1986. En cherchant dans mes archives, je suis retombé sur cette vieille cassette C 90 qui contenait un entretien avec Anne Moyon du fanzine iconique Les Anoraks Sages. Le moment idéal pour exhumer ce trésor, Anne ayant été une activiste de l’Internationale underground au moment même où les fans d’indie pop se comptaient encore en France sur les doigts de la main. Personnalité discrète, elle fut pourtant à l’origine d’un nombre phénoménal de conversion de fans vers la pop au tournant des années 1990. Bien que cela soit plus anecdotique, elle avait aussi connu quelques années plus tard son quart d’heure warholien en tant que chanteuse sur L’Éducation Anglaise, le second album de Katerine, son compagnon d’alors. A l’initiative de fanzines, puis de compilations cassettes, Anne était toujours à l’affût des démos 4 pistes de groupes souterrains et de nouveautés 45 tours vinyles de chez 53rd and 3rd, Paperhouse, Tea Time ou Sarah Records. Elle avait consolidé, dès la fin des années 80, par la correspondance postale, des réseaux avec de nombreuses scènes européennes et relayait le travail des premières scènes locales françaises. A la fin des années 1990, en plein travail sur la notion de scènes locales pour ma thèse, j’ai fini par l’aborder un soir, à la sortie de l’épicerie située au sous-sol du grand magasin Decré à Nantes où je la croisais de temps en temps. Après m’être présenté, je lui demandais si elle accepterait de répondre à mes questions. Il faut se rappeler qu’on était alors à l’époque de la préhistoire de l’internet et des téléphones portables. Nous avions beaucoup de connaissances en commun, c’est la raison pour laquelle elle accepta gentiment de me donner rendez-vous quelques jours plus tard chez elle, rue de la Juiverie à Nantes, dans son appartement, au deuxième étage. Sa fille Edie jouait dans la pièce d’à côté. Comme toujours, attentive aux moindres détails, elle arborait un look incroyable, à la fois straight 50’s et pop anorak. Dans son salon, trônait un tourne-disque et, si ma mémoire est bonne, elle écoutait Bix Beiderbecke au moment où j’arrivais.
Au départ, je ne voyais pas l’intérêt que tu m’interroges sur mon parcours. Mes fanzines, c’était juste un truc d’adolescente ! Mais bon, quand je faisais des fanzines, et aussi pour les cassettes compilations, tu ne peux pas savoir le nombre de gens qui m’ont écrit… C’est ça, la force des fanzines. C’est la force de créer quelque chose. Dans plusieurs villes. Les gens te connaissent. J’ai commencé à 15 ans, et ça a duré de 1986 à 1992… J’avais 21-22 ans quand j’ai tout arrêté. Cependant, j’ai essayé de réfléchir aux questions que tu m’as posées pour mettre un peu d’ordre dans mon esprit. Mon investissement dans les fanzines et ma passion de la musique ne venaient pas de mes parents, c’est sûr. Ils ne lisaient pas, et n’écoutaient pas de musique. Par contre, j’ai trois grands frères et sans eux, je n’aurais pas eu le parcours que j’ai eu ! Mes trois frères m’ont influencé par couches successives. Mon frère ainé, quand j’avais 5 ans, c’était les Beatles et Roxy Music. Ensuite, mon second frère s’est plongé dans le rock’n’roll, malheureusement à la faveur de la mort d’Elvis en 1977. Il l’a découvert, et a progressivement acheté toute sa discographie. Il écoutait aussi Eddie Cochran, Gene Vincent, ainsi que Roy Orbison ou Chuck Berry… C’est vraiment de là que je viens. Il trainait avec le milieu rockab’, il avait un look, il a même fait une émission de radio à un moment donné, au fin fond de la Bretagne, dans la ville où l’on habitait. Et ma troisième influence, c’est mon dernier frère. Avec lui, j’ai découvert les Jams et les Undertones. Il tenté de jouer dans quelques groupes punk mais ça n’a rien donné finalement… Je pourrais dire que musicalement, seuls les Beatles réunissaient mes trois frères. Et à la suite de cette éducation, très formatrice, j’ai commencé à tracer mon propre chemin. J’ai d’abord écouté Elli et Jacno, découverts sur Europe 1. C’était mon premier groupe rien qu’à moi, et je pense que je les ai connus grâce au tube de Lio, Amoureux Solitaires. Ensuite, vers 14 ans, The Cure a révolutionné ma vie, comme beaucoup de gens de mon âge. J’ai énormément écouté Joy Division, New Order et même à une certaine période, Indochine, il ne faut pas réécrire son histoire ! [sourire]. Mais aussi Virgin Prunes, tout ce qui est cold wave, gothique… quand j’étais en troisième, cela a été très important.
Lorsque j’avais 15 ans en fin de troisième, il m’est arrivé un truc exceptionnel, c’était sur la 6e chaîne. Mes parents regardaient la télé, je suis arrivée dans le salon… Et je ne sais pas pourquoi, c’était une émission sur l’alternatif, le rock, et il y avait un monsieur qui expliquait ce que c’était qu’un fanzine. Il disait : « il suffit d’une photocopieuse et d’une agrafeuse, et on fait un fanzine ». A 15-16 ans, j’étais en seconde et j’habitais à Nantes, je suis allé voir une copine de classe de mon lycée à Guist’hau et je lui ai dit : « on va faire un fanzine ! »
Dans mon premier fanzine, il y avait des articles sur Cocteau Twins et New Order, et de la poésie un peu torturée, autour du spleen adolescent. Ça m’a permis de constater que je n’aimais pas vraiment partager le pouvoir, quand la rédaction se composait de plusieurs personnes. D’ailleurs, dans ma mémoire, j’avais effacé tous ces collaborateurs qui ont participé à mes fanzines ! Ce qu’écrivaient les autres, je trouvais ça plus ou moins bien écrit, ça m’intéressait plus ou moins. C’est en préparant notre entretien que je me suis rendu compte que jusqu’à mon quatrième fanzine, j’avais gardé des collaborateurs ! Une anecdote : pour notre premier fanzine, ma copine avait des vues sur un garçon, qui avait un an de plus que nous au Lycée Guist’hau, et on était allées l’aborder pour qu’il nous écrive un article sur la musique électro-acoustique. Donc dans mon premier fanzine figure un article de quelqu’un que je connaissais à peine ! Par contre, au-delà des contributions écrites, dès le début je faisais tout, le sommaire, la fabrication, la distribution… je choisissais aussi des illustrations… [Elle feuillette un fanzine] Là, par exemple, c’est une photo du petit frère d’une copine, là c’est Gene Vincent avec Eddie Cochran, et là encore, une photo des barricades de mai 1968… et ici, Jean-Pierre Léaud et Claude Jade dans Baisés Volés. Pour la distribution, j’ai tout de suite commencé mon système, basé sur du dépôt vente, d’abord à Nantes (Bourse du disque, Blue Records) mais aussi à Rennes, à Paris, à Tours, à Bordeaux. Je ne voulais pas être présente qu’à Nantes, je trouvais cela trop réducteur, trop limité.
Les premières années, J’avais l’impression que c’était faire preuve d’égocentrisme que de signer tout, toute seule. J’étais convaincue que pour faire un fanzine « sérieux », il fallait collaborer avec d’autres personnes. Je prenais des articles de copains, par exemple ceux de Rachid Bara, dit « Gaël ». Même si au final je faisais tout, j’avais aussi quelques textes d’autres gens. Lorsque Gaël me donnait un article, je préférais noter « Anne et Gaël » à la fin, pour ne pas paraître trop égocentrique. Et même pire, quasiment tous mes fanzines « seconde période », que j’ai vraiment fait toute seule, je disais « nous ». Par exemple, « nous avons vu ce concert ». Il a fallu attendre les tous derniers fanzines pour que je dise « je » ! J’étais tellement jeune il faut dire. Trop de modestie. Un jour je me suis rendue à une interview réalisée par Christophe Brault à Radio France Armorique à Rennes. Je crois que c’était via Philippe du fanzine rennais In The Rain que Christophe m’avait invité. J’avais connu Philippe parce qu’il avait acheté mon fanzine et m’avait ensuite contactée. L’émission de Christophe était très pop, et tous les gens qui écoutaient de la pop à Rennes étaient ravis. Le jour J, j’emmène une copine avec moi, Annie. Nous voyant arriver ensemble, Christophe nous a posé des questions à toutes les deux. J’étais un peu gênée car Annie n’avait rien à voir avec cette histoire de fanzines ! Après, quand on me dit : « Ah, mais c’est vraiment un fanzine de fille, ce que tu fais »… sans doute. Il faut d’ailleurs préciser, puisque tu me demandes qui je côtoyais, que j’avais une particularité, je ne suis pas très sociable. Je sors très peu, tout ce qui est « fête », ce n’est pas ma personnalité. J’avais cette particularité de faire un fanzine DANS MA CHAMBRE. Sans aller courir je ne sais quoi, les bistrots, les concerts. J’y allais parfois, mais les fanzines reflétaient en priorité mes états d’esprit, mes humeurs. Ce que j’écoutais dans ma chambre, c’était là que ça se passait. Ce que je lisais aussi, puisqu’il y avait beaucoup de littérature dans mes publications artisanales. Et donc voilà, c’était un fanzine de jeune fille !
La Pop
Quand j’avais 16 ans j’étais passionnée par la cold wave, et j’ai commencé à acheter les fanzines que je trouvais. Un jour dans un magasin de vinyle sur les quais, à la Bourse du Disque, je suis tombée sur Mea Culpa, un fanzine de la région parisienne. C’était des photocopies, bien avant que les numéros suivants aient une couverture en papier glacé. Il y avait des chroniques de disques plus ou moins dans mon domaine : Siouxsie and the Banshees, Dead Can Dance, Cocteau Twins, Gene Loves Jezebel… Je me suis dit : c’est merveilleux ! J’ai donc acheté ce numéro de Mea Culpa, et même les anciens, du coup. Les chroniques que ces gens avaient écrit sur The Jesus & Mary Chain, Shop Assistants ou les Pastels m’ont captivée. Il fallait que j’achète ces albums ! C’est ce qui s’est passé, et ça a changé ma vie. C’était vers 1986 et la manière dont ils parlaient des disques me les a fait acheter ! C’est prodigieux, quand même. Il y avait une chronique sur Psychocandy qui m’avait fascinée. J’ai complètement largué The Cure avec tout ça. On appelait cette musique nouvelle la « pop Anorak », ou encore la pop « C86 » à cause de la compilation éditée par le NME qui s’appelait C86 où figuraient à peu près tous les groupes indie pop de cette première période, c’était un disque décisif [NDR : elle part chercher le vinyle dans sa discothèque]. Cette compilation a été très importante, je l’avais achetée en import au magasin Nuggets, rue du Calvaire. De cette pop Anorak, fragile, je n’en suis jamais sortie, au moins jusqu’en 1992.
Les looks de la pop étaient forcément charmants, les garçons avaient tous la frange, avec les anoraks. En troisième et en seconde, j’étais en noir, et après, j’ai adopté un nouveau look dès que j’ai connu la scène écossaise et tous ces groupes pop. En termes musicaux, je suis assez difficile, je n’ai jamais été passionnée par The Smiths, par exemple. Je connais leur discographie et j’aime les textes de Morrissey, mais par contre cette musique a un côté trop sage, trop polie, qui ne me passionne pas. C’est comme les Pale Fountains, c’est cool mais c’est trop lisse.
Les contacts
Mon premier contact dans le milieu de la musique à Nantes, où j’habitais, c’était Rachid « Gaël » Bara. Quand je suis allée faire les photocopies de mon second fanzine à 16 ans, rue de l’Arche-Sèche [NDR : dans le centre-ville de Nantes], il y avait à côté de moi une personne qui photocopiait une affiche pour son émission de radio. C’était Gaël qui me dit : « Tu ne photocopierais pas un fanzine, là ? ». Il faisait une émission de rock à la même période où il commençait à l’époque à manager EV, un groupe de rock militant breton basé à Nantes. On est sorti tous les deux du magasin de photocopies ce jour-là, on habitait dans le même quartier, on est rentré ensemble, on a discuté et on est devenus amis. Ceci dit, il faut préciser que lui n’a jamais été pop comme moi ! Certes, il connaissait les Primitives ou The Jesus & Mary Chain, mais quand il a participé à l’un de mes fanzines, c’était avec une interview des City Kids. Pour ma part, je n’aimais pas du tout les City Kids, mais ça me faisait 2 pages dans mon fanzine (rires) !
Assez rapidement, vers octobre 1987, Gaël me parle d’un copain DJ au Floride, également vendeur à Fuzz Disques. Il connait d’autres fanzines, et il veut absolument me connaitre parce qu’on parle des groupes qu’il aime dans nos fanzines. Il a été ainsi convenu que j’irai le samedi après-midi au bar le Vetury, près de la Rue Crébillon, pour rencontrer ce fameux Laurent. A l’époque, c’était un bar rock où mes copines allaient, mais ma nature fait que je refuse habituellement d’aller dans ce genre de lieux. Enfin, j’y suis allée cette fois, j’ai rencontré Laurent [Allinger aka French Tourist], et c’est par son intermédiaire que j’ai connu Philippe [Katerine] et Didier [M. De Foursaings]. D’ailleurs ce jour-là, au Vetury, il y avait aussi Jean-Fabien Leclanche [NDR : un des futurs contributeurs de Magic], qui faisait une émission sur Radio Pacific, pas loin du Floride [NDR : le seul club rock nantais dans les années 80]. Il était très impliqué dans le journalisme local à l’époque, mais il était plus proche de Sisters of Mercy ou de And Also the Trees, plus impliqué dans la new wave… Mais tout cela, c’est à propos des gens « sur place », à Nantes…
J’ai aussi établi des contacts à l’extérieur, d’abord à Bordeaux, avec Stéphane Teynié, ainsi que Martial Solis. Je pense qu’ils ont connu mon fanzine via l’émission de Bernard Lenoir sur France Inter. Je lui avais envoyé un exemplaire par la poste, et il en avait parlé dans son émission. A chaque envoi, il a parlé de mes fanzines [NDR : Lenoir avait même déclaré, un soir, que Les Anoraks Sages était le meilleur fanzine du monde]. J’achetais les Inrockuptibles aussi, à compter de ma conversion à la pop. Je m’étais même abonnée. Entre 85 et 92 j’étais dans le vif du sujet, mais depuis la rentrée 1992, je ne me suis plus trop intéressée à l’actualité. Emmanuel Tellier, des Inrockuptibles, était sur ma première cassette compilation, avec son groupe Chelsea. Tout cela est vraiment troublant… De ta petite chambre d’étudiante, tu envoies une lettre, et quelque temps après, Bernard Lenoir parle de ton travail ! Je me souviens même que j’avais dédié l’un de mes fanzines à M. Montgomery, le père d’une de mes amies qui venait de se suicider. Il m’avait aidé auparavant en photocopiant des exemplaires de mes fanzines à son travail. Et Laurence Boccolini, qui co-présentait avec Lenoir, avait dit que mon fanzine était dédié au héros de L’Attrape cœur de Salinger… Evidemment, elle se trompait, d’autant que Montgomery n’est pas le nom du héros de L’Attrape cœur…
Je faisais du dépôt-vente, mais il fallait bien que je me fasse connaître. Et Bernard Lenoir ou les Inrockuptibles, c’était important. Au niveau national, en 1988, il n’y avait qu’un groupe que le milieu pop défendait unanimement, c’était les Freluquets. On est entré en contact avec eux, avec Philippe du fanzine In the Rain. C’était au moment où j’ai rencontré Alan Gac, qui commençait à les manager juste avant de créer son label Rosebud à Rennes. Au début il n’y avait vraiment que les Freluquets. Philippe [Katerine] et Dominique [A], je pense, que je les ai rencontrés en 1990. J’avais pu écouter la musique de Philippe par l’intermédiaire de Laurent [Allinger] qui s’occupait des Little Rabbits. Dominique était proche de Philippe, il l’avait invité chez lui en Vendée où j’ai écouté ses démos cassettes.
Voyage en Angleterre
A Pâques 1989, je suis allée en Angleterre. Je suis notamment allée à Manchester voir Zeeba, une de mes correspondantes qui faisait un fanzine du nom de Rip It Up. Elle n’en a fait qu’un numéro, d’ailleurs. J’avais trouvé son fanzine quelques mois avant mon voyage, je lui avais écrit, et elle m’avait invitée à venir la voir, chez elle. Elle avait un petit boulot, elle travaillait dans les bureaux du label Factory à Manchester. Je l’avais accompagnée à son travail, j’avais d’ailleurs rencontré là-bas un des musiciens des Happy Mondays.
Lors du même voyage je suis allée à Bristol, voir Claire et Matt de Sarah Records, que j’avais précédemment rencontrés au festival Sarah à Paris avec The Orchids et The Field Mice… On avait passé du temps avec eux, ce sont vraiment des gens charmants et assez à l’aise. Ils sont bavards, très british et très corrects même s’il est très timide, et ils ont fait des fanzines incroyables aussi. Je pense qu’ils ont arrêté Sarah en premier lieu parce qu’ils se sont séparés. J’étais en contact avec le groupe Brighter de chez Sarah records aussi, mais j’ai perdu leur contact, contrairement à Douglas des BMX Bandits. J’avais pour projet de faire venir des groupes comme Brighter pour une tournée en France, il y avait aussi des projets de concerts avec Tea Time Records. Mais tout cela est tombé à l’eau maintenant…
A Manchester j’avais aussi acheté un fanzine, Jade, que j’aimais beaucoup, fait par un garçon, Chris. Jade était très pop et me plaisait vraiment. Et on avait décidé de jumeler nos fanzines. Dommage qu’il n’en ait pas fait d’autres ensuite… D’ailleurs, je viens de me rendre compte que j’avais laissé çà et là dans mes fanzines des interviews en anglais, sans doute parce que j’étais étudiante en anglais à Nantes, puis à Angers pour la maîtrise où j’avais rencontré Fabrice Nau de The Drift. Mais je n’aurais pas dû faire cela, j’aurais dû les traduire, comme pour ce long papier de 1986 écrit par Simon Reynolds sur la pop que j’avais découpé dans le NME, avant de le traduire par mes propres moyens et de le publier dans Les Anoraks Sages.
Autre élément d’importance pour moi, j’avais aussi acheté en Angleterre, avant de rentrer, une cassette compilation pop avec une couverture photocopiée qui s’appelait Something’s Burnin in Paradise (1989), avec Another Sunny Day, Mousefolk, The Candy Darlings, The Driscolls… Il y avait vraiment plein de morceaux bien sur cette cassette. Je l’ai encore, et ça m’a donné l’envie d’en faire une à mon tour.
Cassette Compilation Heol (1990)
On a donc décidé de faire une cassette avec Fred Paquet, de Grenoble, que j’avais connu aussi via mon fanzine. Il y avait aussi plein de groupes à Strasbourg comme Les Mollies, Non Stop Kazoo Organisation… Sur la vingtaine de chansons qui figurent au final sur Heol, il en a reçu une dizaine et chez lui et moi, une dizaine chez moi, à l’autre bout de la France. Fred et moi, on correspondait souvent. Par contre, pour le tracklisting, le mastering et pour dupliquer les cassettes, il fallait qu’une personne s’en charge plus spécifiquement. Je l’ai fait, il m’a envoyé toutes ses maquettes, et je les ai rassemblées. Par contre, il a fait la photocopie de Jacques Tati, pour la couverture de Heol. Bon, je ne l’aurais pas choisie, mais je ne voulais pas m’imposer sur tous les points ! Ensuite, j’ai peint à la main toutes les lettres sur les couvertures des cassettes, j’ai fait les coloriages. La promotion, on s’en est chargé tous les deux. On s’est retrouvés sur une radio FM à Paris près d’Austerlitz pour une interview, par exemple. Mais quand même, finalement, je me suis chargée de toute la production donc quand j’ai voulu faire la seconde cassette je n’ai pas du tout contacté Fred, parce que la première je l’avais finie toute seule ! Cela dit, j’ai d’abord commencé avec Fred Paquet.
Mon milieu, c’était Laurent [Allinger], les [Little] Rabbits, Philippe [Katerine] et les ramifications dans d’autres villes, principalement la famille strasbourgeoise : Jacques, Etienne [Greib], et aussi la famille bordelaise : Cornflakes Zoo, Stéphane, mais aussi Viviane. A l’époque, on ne se connaissait que par courrier, et Stephane Teynié m’avait aidé pour financer le flexi-disc de Philippe [Katerine], au moment où il montait sa liste de distribution, Anorak, avec son asso les Oranges Molles. On se voit toujours de temps en temps, par exemple, à l’Olympic où il était ingénieur du son sur la tournée de Bosco. Stéphane est lié à Dominique [A] et Françoise [Breut], mais moi je ne suis plus tout ça… La scène musicale de Rennes ? J’étais un petit peu en contact avec Alban des Garçons Ordinaires et Yasmine de Lighthouse, et elle m’avait envoyé son flexi Solace sur le label Glam [de Redon]. Mais je l’ai un peu connue aussi parce que Lighthouse avait signé sur Rosebud, comme Philippe [Katerine] et les Freluquets.
J’ai mis Philippe [Katerine] sur la cassette Heol, en 1990. Il n’avait encore rien édité à l’époque. Sinon, par l’intermédiaire de Gaël, j’avais eu un morceau hyper rare d’EV enregistré pour la BBC à Londres où ils chantent en Breton. Je n’aimais pas leur style rock de EV, mais là en acoustique, avec la guitare et la bombarde, les mélodies vocales, « Ar Gwener », j’aime beaucoup ! Et c’est vrai que j’étais passionnée par la Bretagne à l’époque. Je mettais des phrases en breton dans mes fanzines. Maintenant je suis moins impliquée dans ces histoires. Bon évidemment, si on me dit demain que la Loire-Atlantique est enfin rattachée à la Bretagne, je serais ravie ! Par contre, ça ne me passionne plus comme il y a 10 ans. A l’époque de mon adolescence, je ne le lisais que ça, les histoires de la Bretagne, le mouvement indépendantiste, René-Guy Cadou… D’ailleurs dans mes fanzines, ça se sent !
Sur la compilation Heol 2, on trouve aussi le titre « Vivement Dimanche » de Dominique [A]. A l’époque, l’album [Le Disque Sourd] n’était pas encore sorti. C’est moins intéressant maintenant que tout le monde a La Fossette, parce que sinon c’était des inédits, tout ça ! Les 2 Nigauds, c’est Philippe [Katerine] avec Federico [des Little Rabbits], les Molies c’est Jacques, [Pretty Sweet] Pillows c’est Etienne [Greib], Les Lindas c’est Dominique et Philippe, il y a aussi Didier [M. de Foursaings], Les Garçons Ordinaires, Fred Paquet, souvent les mêmes ! (rires) Il y a aussi un titre de Candle sur Heol. Je suis rentré en contact avec eux bien avant Lithium. Je n’ai pas vraiment connu Vincent [NDR : Chauvier, fondateur du label Lithium], on s’est croisé. Je n’aimais pas trop ce qu’il proposait sur Lithium, ni leur esthétique. Même si Laurent était DJ au Floride, je n’y allais pas beaucoup. De toute manière je n’aimais pas sortir. Je préférais rester dans ma chambre et lire. Je suis allé voir quelques groupes là-bas, tel Mc Carthy, ou encore Seconde Chambre, d’Angers, mais je restais le premier quart d’heure. Je devais rentrer chez moi, sinon mes parents n’étaient pas du tout contents !
Le label Karen
Pourquoi est-ce que le label a été Karen pour la première cassette, et Katiho pour la seconde ? Avec Régis et Laurent, qui manageaient les Little Rabbits, on avait décidé d’unir nos forces pour faire reconnaitre la scène « indie pop ». Et donc, on avait pris une décision, Karen 01 ce serait la cassette bleue des Little Rabbits, leur première cassette, Karen 02 ce serait ma compilation Heol, et Karen 03 ça devait être le premier album des Little Rabbits. Et en fait Karen 03 n’a jamais vu le jour. Il y a eu une petite brouille entre nous, je ne sais plus trop pourquoi. Rien de grave, j’ai simplement dit que je ne participerais plus à Karen… Pour la suite, j’ai trouvé un autre nom. J’étais même allé à la Sacem faire une déclaration pour la seconde cassette.
Karen, ce fut tout de même un gâchis extrême. A une époque, en 1990, Laurent et Régis, pouvaient potentiellement produire les Little Rabbits, Philippe Katerine, Dominique A., mais tout cela n’a pas pu se faire, parce que financièrement ça n’allait pas. Régis n’était pas très bon gestionnaire, malgré une formation. S’il avait mieux géré son affaire, comme Alan a pu le faire avec Rosebud, Karen aurait pu être LE label pop. En plus, il y avait un autre groupe, Picasso y Los Simios [NDR : avec Eric Deleporte, futur Perio], ce groupe était tout bonnement incroyable ! Malheureusement, Picasso n’a rien enregistré à part deux titres sur une compil en Italie, avec une production atroce. Pour Picasso, j’avais été envoyée « en délégation » aux Inrockuptibles par Régis et Laurent, à l’époque rue d’Assas à Paris. Plutôt que d’envoyer une cassette par la poste – et vu que je connaissais un garçon qui s’appelait Philippe Giraud qui manageait le groupe d’Emmanuel Tellier et qui était un ami de Beauvallet – j’avais été envoyée pour donner en main propre une cassette à Beauvallet ! Dans les locaux des Inrocks, une pièce à l’époque, il y avait Beauvallet et Fevret (Montfourny est aussi passé pendant que je discutais) à qui j’avais donné la cassette de Picasso en disant : « C’est un groupe nantais dans lequel on n’a beaucoup d’espoir » ! On a causé, mais c’était bizarre… Quand je suis revenue à Nantes, les Picasso étaient anxieux de savoir comment ça c’était passé. Tu te rends compte un peu de ce que ça pouvait représenter d’être un journaliste à l’époque !
La fin de la production Internationale Pop DIY
Quand je me suis intéressée aux fanzines, entre 15 et 22 ans, je me suis toujours occupée de tout, du stade de l’écriture, à taper à la machine chez moi, jusqu’à la vente… Dès qu’un fanzine était terminé, j’en entamais un nouveau ! Je n’avais aucun argent pour la photocopie de mes fanzines. Il fallait toujours que je demande à mes parents ou d’autres connaissances. Et je n’avais qu’une obsession c’était de les rembourser. Une fois que c’était réglé, je repartais, et je me ré-endettais… mais c’était encore plus compliqué pour les cassettes ou le vinyle. Quand j’ai fini Heol 2, je pensais en faire un troisième, j’avais déjà quelques maquettes de groupes, et un flexi M. de Foursaings en chantier, mais je me suis dit : « Stop ! Je ne vais pas être encore endettée et angoissée pendant des mois parce que je dois 6000 francs que j’ai empruntés à Fred Paquet, ou Rachid Bara qui m’a financé aussi je ne sais plus quoi à l’époque… » Je me suis dit : « J’arrête ! » En plus, j’avais des dépôts vente et je vendais aussi par correspondance, c’est passionnant, en soi. Mais donc écrire pour tout le monde, faire des petits mots, emballer la cassette, emballer le flexi, faire des colis, aller à la poste, ça prend un temps fou ! Et je me suis dit : voilà, je me suis lassée. J’ai tout arrêté à 21-22 ans.
Pour ma dernière production Katiho, j’ai fait 500 copies de la cassette, 500 fanzines (Diwlez Bobby), et 500 flexi discs Une Partie de Campagne avec les titres de Philippe Katerine. Toute une histoire… Philippe, quand il a voulu faire un disque, il a envoyé sa musique a plusieurs maisons de disques. Je le sais parce que c’est moi qui emballait les cassettes ! J’ai vendu en grande partie des flexis via la liste de distribution de Cornflakes Zoo, les Oranges Molles. Pour produire des 45 tours, j’étais passée par les mêmes réseaux que Matt et Claire de Sarah Records, ils m’avaient indiqué comment faire, donné l’adresse de leur fabricant… Les flexis restants, je les ai donnés à Alan de Rosebud, pour qu’il les utilise lors de la promotion des Mariages Chinois, le premier disque de Philippe.
Anne, chanteuse sur L’Éducation anglaise (1994)
En tant que chanteuse, j’ai un tout petit peu participé au premier album de Philippe, Les Mariages Chinois (1991). Je chante sur deux morceaux, j’ai fait des chœurs, j’ai joué du piano sur un morceau. J’ai surtout été sur le deuxième, L’Education Anglaise, qu’on a enregistré en 1993, alors qu’Edie venait de naître. C’est pour cet album que j’ai fait des émissions de radio, des concerts, on a tourné un clip… Avec Philippe, c’était un travail de fond, car finalement je chantais toujours pour lui à domicile. La plupart des chansons qu’il composait, il me les chantait, et ensuite, il me demandait de les interpréter afin d’avoir la possibilité de les entendre avec une voix de fille, ou simplement avec une autre voix que la sienne. Il en avait besoin pour se rendre compte de ce que la chanson valait, pour lui. Très souvent, c’était moi qui, sur 4 ou 8 pistes, chantait dans l’appartement. Et il y avait aussi toutes les chansons qu’il écrivait pour Kahimi Kari, la chanteuse japonaise… Il me les faisait chanter pour en avoir un aperçu. En fait je passais mon temps à chanter pour lui, entre la machine à laver et la table de la cuisine !
Philippe et moi, peu de temps après qu’on se soit connu, on a fait quelques reprises. On avait notamment repris « Taste of Cindy » de The Jesus & Mary Chain… On a aussi composé des morceaux tous les deux, dont certains sont chantés en Breton. Je sais que Gaël voudrait à tout prix les écouter ! J’avais des dictionnaires, je travaillais le Breton. On avait notamment composé un titre en hommage à Dominique Rocheteau [NDR : elle me chante le refrain dudit titre, c’est très beau !]. On l’a enregistré en 1993, et à un moment, on entend Edie qui pleure dans le fond…
Une réflexion sur « Les Anoraks Sages »