Le printemps offre ses disques. Il y a plus de vingt ans, je quittais une mansarde haut perchée, rue de Rome à Marseille. Une rue morne et folle à la fois où on trouvait, en longeant des trottoirs particulièrement amochés, des magasins de fringues ignobles, de grandes tablées de bijoux fantaisies et le temple des instruments de musique inaccessibles : Scotto. Je rêvais dans les rues marseillaises avec Tara, une canadienne mélancolique au regard noir fusain. C’est grâce à elle que j’ai un faible pour les collants noirs filés. On passait notre temps entre l’amour et les orages. Elle me faisait découvrir The Microphones et le label K records. Une ensorcelante collectionneuse qui me mettait la misère en musique indé. Et comme je suis spécialement orgueilleux, j’essayais d’en faire autant. Peine perdue. Seulement, un jour de mars 1998, je dégotais la perle rare, la musique des jours rayonnants – le vent du dégel. Camoufleur de Gastr Del Sol. Je me souviens de notre écoute frénétique, Tara et moi, des heures durant en scrutant un minuscule velux. On entendait plus les rumeurs de la ville – la beauté d’une musique éclipse tout. Ce disque, depuis, marque le retour du bonheur, de la joie. Aujourd’hui, dans le merdier interplanétaire dans lequel nous nous retrouvons, j’avance toujours avec un pas léger. L’offrande du printemps, cette fois-ci, se nomme Course in Fable. Ryley Walker – épaulé majestueusement par John McEntire de Tortoise (et Gastr Del Sol, ndlr) – propose une cavalcade printanière et lumineuse. Cette cavalcade me sert de battements de cœur, de grandes respirations lorsque je regarde s’éteindre le jour sur les contours mauves de la Baie de Morlaix. Les ajoncs en fleurs illuminent encore un peu les chemins, la nuit se fait douce. Walker atteint, à l’instar de The Sea and Cake, une pertinente fluidité pour passer du Jazz à la Pop. Un magnifique labyrinthe mélodique. En rentrant de mes promenades, une lecture, totalement réjouissante, me laisse dans une mélancolie agréable. Il s’agit d’Un Hamster à l’École. Nathalie Quintane relate avec drôlerie et finesse son enfermement, sa destinée carcérale merveilleuse : l’école. Et tenir, depuis toute ces années, dans un même lieu – la classe, relève parfois de l’exploit. Dans ces temps de galère pour l’éducation, ce livre est un pas de côté. C’est parfois cruel, absurde mais c’est aussi de la pure poésie. Quintane décape les bancs de l’école mais avec une tendresse palpable. Porté par cet engouement, j’ai eu envie de voir un film au scénario rapide, génial. Le souvenir de Mercredi, folle journée ! de Pascal Thomas est revenu comme une rafale. Comédie amère et douce où l’enfance vient questionner les inconséquences de la vie adulte. Les petits malheurs et les grandes joies, les retrouvailles, les déceptions et l’oubli, tout cela concassé en quelques heures. Car Pascal Thomas ne s’arrête pas aux désillusions, il faut vivre. Et bien vivre, en fonçant comme ce mercredi, à toute vitesse.
L’école de la vie – Ryley Walker, Nathalie Quintane, Pascal Thomas
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine