19 février 1996. À l’Earls Court Exhibition Centre de Londres, lors de la cérémonie annuelle des Brit Awards (l’équivalent de nos Victoires de la Musique, la dimension internationale en plus), Oasis rafle la mise avec trois récompenses. Lorsque Michael Hutchence, chanteur du groupe australien INXS, leur remet l’un des prix, Noel Gallagher balance : “Has beens should not be presenting awards to gonna be’s” (“Les has been ne devraient pas remettre de récompenses à ceux qui vont avoir du succès”). Un an et demi plus tard, Michael Hutchence n’est plus de ce monde : il s’est donné la mort par pendaison dans une chambre d’hôtel.
Quel artiste ou groupe se réclame aujourd’hui d’INXS ? Personne, ou presque. Notons quelques rares hommages, toutefois : Never Tear Us Apart vient d’être reprise par The National sur la compilation caritative Songs For Australia, après l’avoir été par Courtney Barnett pour une publicité iPhone, et sur scène par The Killers (qui d’autre ?). Auparavant, il y avait eu Don’t Change, d’abord interprétée par Bruce Springsteen en tournée australienne, puis par Brandon Flowers, le chanteur de The Killers “sex fan des eighties”. Christine And The Queens, quant à elle, a chanté Need You Tonight, aussi extrait de Kick, le sixième album du groupe paru en 1987, qui a atteint des chiffres de ventes record : 20 millions d’exemplaires. Mais au hasard, Tame Impala, nouvelle référence australienne, n’a a priori que peu à voir avec INXS, ex-formation à succès des années 1980, désormais oubliée et devenue l’un des symboles du rock FM (à comprendre comme Frelaté et Mastoc) de cette époque. INXS, un temps à la une des magazines musicaux, n’a plus bonne presse. Et pourtant Mystify : Michael Hutchence de Richard Lowenstein, gros succès – à l’échelle d’un documentaire – l’an passé en salles en Australie et sur iTunes, reste digne d’intérêt. Pour un film à propos d’un chanteur de rock, il n’y est que très peu question de musique (j’entends ceux qui soupirent : tant mieux), mais beaucoup du destin individuel de son sujet, Michael Hutchence, né le 22 janvier 1960 à Sydney, en Australie, et suicidé à 37 ans. Au niveau crédibilité, Nick Cave, ami proche au point d’être le parrain de sa fille Tiger Lily, a beau être absent du documentaire, sa B.O. hors tubes d’INXS est signée par Warren Ellis, l’homme-orchestre des Bad Seeds depuis plus de vingt ans. Quant à Nick Cave, il avait chanté Into My Arms lors de l’enterrement de son ami. De son côté, le mythique Chris Bailey, chanteur de The Saints, dit le plus grand bien d’Hutchence. Tout comme les producteurs Nick Launay (The Swing avec Nile Rodgers ; associé au son de Gang Of Four, PIL, et beaucoup d’autres) et Chris Thomas (Listen Like Thieves en 1985, Kick en 1987 et X en 1990 ; légende des studios d’enregistrement depuis le double blanc des Beatles, ayant collaboré avec la planète entière jusqu’à Pulp). Sans oublier Bono, la voix de U2, qui avoue avoir été envieux de cette gueule d’amour, mi-Jim Morrison mi-Tim Burgess.
À l’adolescence, le souriant mais timide Michael Hutchence devient avant même sa majorité le chanteur d’un groupe de rock fort de six membres, dont trois frères. C’est l’un des musiciens de Midnight Oil qui aurait rebaptisé The Farriss Brothers du nom d’INXS en référence aux Anglais de XTC pour faire plus “new wave”. Le sextet sort son album inaugural quand s’ouvre la décennie 1980. L’année suivante suit Underneath The Colours et celle d’après, Shabooh Shoobah, premier disque à être distribué hors d’Australie. Dès 1983, INXS joue aux États-Unis, où l’extrait The One Thing est diffusé sur MTV, en première partie d’Adam & The Ants, Hall & Oates, The Go-Go’s et de ses compatriotes Men At Work. En toute fin d’année, la chanson Original Sin, produit par Nile Rodgers de Chic (qui transforme alors en or tout ce qu’il enregistre avec les albums Let’s Dance de Bowie en 1983 et Like A Virgin de Madonna en 1984 mais aussi The Reflex puis The Wild Boys de Duran Duran) annonce six mois plus tard l’album The Swing et devient le premier succès français du groupe – pourtant, la chanson est totalement absente du documentaire.
Il y aura trois autres albums d’INXS au grand complet, qui correspondront à une lente autant qu’inéluctable dégringolade commerciale, mais le réalisateur Richard Lowenstein nous épargne le détail des dix albums d’INXS du vivant de Michael Hutchence pour mieux retracer l’ascension régulière et méthodique du groupe et sa déchéance ultérieure via celle de son chanteur. Après quelques clips et un long-métrage, il initie une relation au long cours avec INXS, en tournant avec eux dix-sept clips jusqu’en 1993, sans compter ceux de Max Q, projet éphémère imaginé par Hutchence à la toute fin des années 1980. Le réalisateur connaît suffisamment bien INXS en général et son idole en particulier pour s’épargner la béquille d’une “voix off” explicative et anticipe la fin tragique de son récit à l’aide de trois principaux types d’images selon les époques : films de famille, voire journaux intimes amoureux immortalisés sur pellicule (Michael Hutchence est l’heureux possesseur d’un caméscope), témoignages filmiques de la notoriété grandissante d’INXS au cours des années 1980 avant sa crise d’identité fatale et archives télévisées au rythme d’un mauvais feuilleton mélodramatique lors des quatre dernières années de Michael Hutchence. On y découvre une jeunesse caractérisée par une francophilie surprenante : son père est l’importateur du champagne Moët & Chandon, organisant des soirées en musique avec leurs amis avec comme climax susceptible de marquer à vie un enfant, le Je T’Aime Moi Non Plus de Gainsbourg. Hutchence conduit une Citroën DS sans permis pour impressionner sa première petite amie “sérieuse”, qui lui fait découvrir les écrivains “beat”, référence partagée avec d’autres compatriotes comme The Go-Betweens, et se souvient en retour d’un amoureux lecteur d’Oscar Wilde, mais aussi de Genêt, Sartre, Cocteau, Herman Hesse ou Ginsberg. Quelques années plus tôt, au milieu de la décennie 1970, le futur chanteur passe dix-huit mois aux États-Unis avec sa mère sans le père, la grande demi-sœur et le petit frère. Le benjamin de la famille devenu à l’adolescence héroïnomane pour le rester toutes les années 1980 témoigne dans Mystify du soutien sans failles de son frère célèbre. Voilà pour la part d’ombre de Michael Hutchence. Qui trahit ses amis d’INXS après le succès mondial de Kick pour enregistrer tout un album en 1989 sans eux et sans vraiment les prévenir. Mais l’absence de succès de Max Q, avec comme alter ego Ollie Olsen, le ramène à la raison. Hutchence peut bien écouter Sonic Youth ou Pixies et en parler lors de ses interviews, son groupe appartient au gotha du rock installé, mais bientôt secoué par le grunge. Faute d’être sollicité pour incarner Jim Morrison dans The Doors d’Oliver Stone en 1991, il se risque à jouer l’année précédente le poète Shelley dans Frankenstein Unbound (La Résurrection De Frankenstein en VF), l’ultime film réalisé par la figure atypique hollywoodienne Roger Corman.
Gendre idéal bien sous tous rapports, Michael Hutchence fait quand même figure de démon maléfique du rock’n’roll pour le public prépubère de Kylie Minogue, autre compatriote vedette adolescente de la série télévisée Neighbours devenue créature vocale des productions pop hyper-commerciales de Stock, Aitken et Waterman. Ces deux-là, 29 ans pour lui et 21 pour elle en 1989, filent le parfait amour jusqu’en 1991, et c’est Michael qui fait part à Kylie du souhait de Nick Cave d’enregistrer en duo avec elle Where The Wild Roses Grow, qui sort en 1996. Le documentaire insiste à dessein sur Le Parfum : Histoire d’un meurtrier, premier roman de l’auteur allemand Patrick Süskind, gros succès de librairie à l’époque, offert à “SexKylie” par son rocker mais passe sous silence la principale reconnaissance littéraire d’INXS. Le groupe australien occupe en 1991 à son corps défendant une place de choix dans American Psycho, le troisième livre, et son plus emblématique au-delà du scandale, de l’écrivain californien Bret Easton Ellis : INXS devient l’un des symboles du malaise d’années 1980 finissantes mises à mal par le héros psychopathe Patrick Bateman. Le grand lecteur Michael Hutchence est bien mal récompensé mais INXS joue cet été-là à Londres au Stade de Wembley devant 74 000 personnes et semble bien au-dessus de toute considération littéraire. À la rentrée, Michael Hutchence s’affiche en couverture de la référence branchée britannique mensuelle The Face.
Si la séparation avec Kylie Minogue n’empêche pas les deux stars de rester amis, le chanteur se console avec la supermodel Helena Christensen. Après un an de relation amoureuse entre Paris et le sud de la France, une agression par un chauffeur de taxi à Copenhague, un soir de 1992 où le couple se promène en vélo, va tout changer pour Michael Hutchence. Sa tête a heurté le trottoir : un examen médical à Paris le mois suivant révèle une fracture du crâne et des nerfs déchirés avec pour conséquence immédiate l’altération du goût et de l’odorat. Michael Hutchence, d’hédoniste se découvre extrême, désormais “sourd à la sensualité”, sinon violent, souvent lunatique : bref bipolaire voire schizophrène. Neuf ans après leur première rencontre sur le plateau de l’émission télévisée anglaise The Tube, il retrouve la figure britannique Paula Yates, son aînée de quelques mois, désormais présentatrice de l’émission The Big Breakfast produite par son mari irlandais, Sir Bob Geldof, ex-chanteur des Boomtown Rats et initiateur de Do They Know It’s Christmas? en 1984 puis du Live Aid l’année suivante qui lui valent son anoblissement. Elle n’a jamais caché à ses ami(e)s être sensible au charme de Michael Hutchence et ils s’affichent rapidement en public pour la plus grande joie de la presse à scandales, mais pas seulement. Le GQ britannique de septembre 1995 affiche ainsi Helena Christensen en couverture avec pour accroche “Seriously, would you trade her in for Paula Yates?” (“Sérieusement, lui préféreriez-vous Paula Yates ?”). Celle qui a quitté Geldof dont elle a eu trois filles représente d’abord une renaissance amoureuse pour Michael Hutchence. Ce dernier commence à enregistrer un album solo, avec Tim Simenon de Bomb The Bass, Danny Saber, producteur de Black Grape, et surtout Andy Gill, ex-Gang Of Four. Et si l’année 1996 débute amèrement pour Michael Hutchence, humilié par Noël Gallagher d’Oasis lors des Brit Awards, il devient pour la première fois en juillet père, d’une petite fille prénommée Tiger Lily. Une fois entériné le divorce des Geldof deux mois plus tôt, les amants doivent faire face au ressentiment de l’ex-mari, qui profite d’articles à charge à propos de leur supposée addiction aux drogues pour réclamer la garde exclusive de ses enfants. Entre l’Australie, avec leur fille, et Londres, pour retrouver celles de l’ancien ménage Geldof, entre médicaments et drogues de moins en moins récréatives, dépendance affective mutuelle, parcours professionnels et artistiques respectifs en berne, voire vies sociale et mondaine remises en cause par la vindicte de Sir Geldof (que Michael Hutchence préfère nommer “Satan”) et vaines tentatives pour se débarrasser de paparazzi aux aguets, le couple se retrouve pris dans une spirale infernale. Le documentaire tourne au compte à rebours vers le suicide final. S’il est mort dix ans trop tard pour faire partie du “club des 27”, il n’aura pas bénéficié non plus de l’inéluctable mouvement de réhabilitation des années 80 dont INXS reste aujourd’hui encore mystérieusement exclu. De mémoire, l’information de son suicide, sans souvenir précis de la façon dont elle nous parvient – peut-être par fax reçu de la part de la maison de disques française Mercury –, ne suscite aucune réaction particulière à la rédaction de la RPM. L’homme a droit à une simple brève dans le numéro 18 daté de janvier 1998 : “Le chanteur d’INXS, Michael Hutchence, âgé de 37 ans, s’est pendu le samedi 22 novembre dernier dans une chambre d’hôtel à Sydney. Il a été enterré le 27 en présence, entre autres, des membres de son groupe, mais aussi de certains de leurs compatriotes et contemporains de Midnight Oil et Rose Tattoo, ainsi que Nick Cave et Kylie Minogue, et a eu droit à des hommages de Bono sur scène pendant la tournée américaine de U2”. Dans le reste de la presse, musicale ou pas, la mort de Michael Hutchence est évoquée sans qu’on s’y attarde trop, bien loin des couvertures de Best ou Rock & Folk dix ans plus tôt. Les six Australiens semblaient pourtant avoir établi une relation de confiance avec le public français depuis une tournée inaugurale en 1984, suivie d’autres en 1986 et début 1988, avec l’Olympia à Paris suivi de Bercy. La plus grosse tournée française a lieu en 1990, et le sextet reviendra en 1993, notamment au Grand Rex. Après deux apparitions dans Nulle Part Ailleurs et Taratata à la télévision au printemps 1997, INXS joue à l’été au Zénith de Paris pour le dernier concert français du groupe avec Michael Hutchence, qui se suicide deux mois après la fin du segment américain de cette tournée mondiale. Le reste du groupe aura bien tenté de remplacer son chanteur, mais sans réel succès. Reste la question du hors champ postérieur à la fin du documentaire de Richard Lowenstein : l’album solo de Michael Hutchence sort finalement en 1999 dans une indifférence polie, malgré un duo avec Bono de U2. Quant au sort, en privé, il s’acharne. Après avoir perdu la garde de ses enfants début 1998, Paula Yates meurt d’une overdose d’héroïne en 2000 lors de l’anniversaire des 10 ans de sa fille Pixie. Si Bob Geldof est devenu le tuteur légal jusqu’à sa majorité de l’orpheline Tiger Lily, sa demi-sœur Peaches Geldof meurt à son tour d’une overdose d’héroïne à 25 ans en 2014. Tiger Lily, en couple avec le chanteur multi-instrumentiste Nick Allbrook, ex-Tame Impala et seul maître à bord avec Pond, va mieux a priori, merci.
Le souvenir de Michael Hutchence reste désormais terni par la rumeur récurrente d’une mort par auto-asphyxie érotique : plutôt que d’un suicide (acte désespéré mais “noble”), il s’agirait d’un jeu sexuel pervers qui aurait mal tourné. La mort du chanteur d’INXS n’est-elle pas jugée assez digne d’intérêt pour être acceptée sans réserves et sans doute ? Faute d’avoir atteint le statut de grand groupe, cette formation australienne emblématique des années 1980, un temps au statut médiatique égal à celui de U2, Cure et Depeche Mode, a représenté une porte d’entrée vers le rock pour beaucoup d’ados de cette génération. Mystify rappelle cela, par le récit des années glorieuses, hors d’Australie, de ce groupe au succès planétaire, marqué du sceau des années MTV.
J’ai vu ce film et j’avoue qu’il est vraiment trés bon.
Après toutes ces années d’incompréhensions sur le cas Hutchence, « Mystify » arrive à point nommé.
Rarement un docu rock n’aura permis de ressentir ça. Un joli témoignage aussi bien dans les événements heureux et malheureux de la vie de Michael Hutchence habillement évoqués par son ami d’enfance le réalisateur Richard Lowenstein. On saisit ses sensibilités et sa simplicité, choses qui étaient assez difficile a capter à l’époque.
Au moins on on est pas déçu, l’homme malgré ses démons, était cool!
Sans vouloir rentrer dans le comparatif avec les groupes pop-rock qui ont suivis la génération INXS/U2 dans les 90/2000’s, on peut clairement affirmer que ce groupe a pondus tout de même des titres bien plus marquants que Oasis ou autres groupe « Brit pop » (que j’ai tout de même beaucoup écouté aussi).
Rien que Original Sin (produit par Nile Rodgers en 84!) est à lui tout seul un joyau synth pop funky !
D’ailleurs il est assez difficile de citer ou fredonner un titre populaire de U2, Cure, duran duran, DM, REM ou…Oasis, produit après (au hasard) 1997, année de la mort de Hutchence.
Les albums d’Inxs sont certes datés (encore que) mais étrangement ils offrent aujourd’hui un plaisir d’écoute inédit (surtout les derniers).
Et finalement malgré le drame il reste cette vérité, celle qu’ il était bien au dessus d’un pathétique Gallagher.
Inxs est l’anti Oasis et ça c’est déjà une véritable réjouissance.
👍 très bonne analyse ! En plus je déteste Oasis…
Entièrement d’accord avec vous.Dailleurs qui peut se prétendre d’être plus ou moins in ou out;La bétise de Gallager est au niveau de sa mesquinerie!!!
Si hutchence était resté, je pense que le misérable oasis (noel !!!) serait enterré sous l’humiliation que lui aurait fait subir le talent d’un homme incroyable. INXS ont produit des chansons merveilleuses tight, searching, elegantly wasted … et tant d’autres qui sont aujourd’hui très agréablement écoutables. et c’est pas 74 K personnes qui viendraient le voir mais largement plus. alors oasis va te cacher.
je n’aime pas du tout cet article, l’auteur l’a écrit sans être vraiment renseigné, il a juste repris des trucs à charge qu’il a entendu ça et là. c’est pas professionnel.
hutchence était entouré de gens très jaloux et il n’a pas eu de chance. paix à son âme.
Jai bien apprecie ce docu,manque qq interviews du groupe quand meme,mais jai tjrs trouve inxs et hutchence fascinants et mystique avec des titres extra,un vrai groupe a tubes, je n ai d ailleurs pas compris l acceuil mitige d elegantly wasted par la suite que je trouve super,un groupe qui aurait pu et du durer comme depeche mode…..Des titans de la musique et des concerts.