Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit
Fugue de mort, Paul Celan.
Il y a toujours la possibilité d’une circulation dans la solitude. La solitude, dès lors qu’elle creuse son propre puits, dresse une carte dont les écailles et les archipels sont autant des souvenirs que des bruits, autant des inquiétudes que des couleurs. Or, la grande stupeur qui nous prend quand on s’y agenouille tient à cela : elle fait tenir sur un plan unique une boucle qui désordonne la vie. À sa fin, si nous l’atteignons jamais, sur le dernier rivage de son lac noir, tout se mêle. L’entrelacs de dimensions qui habitent ce puits bave. Ses composantes s’effondrent les unes dans les autres. La vie entière tient à des tâches d’acrylique dans l’eau : désordre. Elles nous apparaîtront plus tard, laiteuses et fondues, dans la texture de quelques nuits, à la lisière d’un souvenir d’enfance, sur le seuil d’une phrase où tout se brouillera. Il faudra alors les rendre à leur ventre, à leur liqueur séminale, à la solitude.
Ainsi que l’on quitte le night-club, les pulsations encore vibrantes dans le crâne, on sort de la solitude la tête pleine de bruits. Et ça circule. Ça vibre dans l’un, dans l’autre, ça poursuit des idées qui toujours s’enfuient, ça perce dans l’obscurité une lumière qui inquiète. Une lumière qui menace : il faudra y revenir car jamais nous ne serons autant chez nous qu’en elle.
Que restera-t-il d’une pareille idée quand sur nous tout sera rebattu afin que celle que l’on croyait choisie et chérie, se révélera comme ultime torture du présent ? On y revient. La solitude dans la dévastation, ainsi que l’on traduit Arendt, et aussi, comme projet sans objet, comme vie sans jours, comme souvenir sans péremption. La solitude comme l’ultime utopie d’un corps abandonné sur la rive d’un monde si bruyant qu’une ligne mélodique ressemble désormais à une frêle naïade qui s’élève dans la forêt. Une forêt où tout frissonne. Un forêt où la musique revient et ordonne. Qu’importe la précarité bien connue : nous tiendrons hors de l’eau, le temps qu’il faut. Le retour n’est jamais loin : Plutarque compare les oreilles à des vases ébréchés.
Comme on s’inquiète d’y retourner alors qu’en elle tout repose. En solitude.
Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir
nous buvons et buvons