Beaucoup en ont rêvé, mais Stéphane Récrosio l’a fait. Au début des années 2000, il a mis en pratique les idées qu’il avait exprimées à travers ses fanzines et son label Orgasm Records en ouvrant, dans le douzième arrondissement de Paris, un disquaire dédié au rock indé : Festen, situé au 78 boulevard Diderot. L’époque était encore au CD et le vinyle n’avait pas amorcé son retour. L’aventure durera trois ans. Sans le moindre soupçon de nostalgie, il a accepté de la raconter.
Stéphane fait parfois le détour s’il vient à passer dans le quartier. En ce mois de mars 2018, le rideau est baissé et la vitrine est taguée : après avoir été l’annexe d’une enseigne Cuisines Schmidt, le lieu est aujourd’hui à l’abandon. À sa gauche, un vendeur de kebabs. À sa droite, une cantine asiatique. Et en face, ce panneau stipulant « J’aime mon quartier, je ramasse ». Difficile d’imaginer qu’il y a 15 ans, Herman Düne donnait à cet endroit un showcase qui fit se déplacer la maréchaussée en raison de l’attroupement réuni sur le trottoir. « Le magasin faisait 13m2. Quand le groupe est arrivé, on s’est vite rendu compte qu’il serait impossible qu’ils jouent à l’intérieur. Alors ils se sont installés sur le trottoir avec leurs amplis. Les flics sont venus. Ils m’ont demandé si j’avais demandé une autorisation. Quand je leur ai expliqué que si j’en avais demandé une, elle m’aurait été refusée, ils ont accepté de fermer les yeux. »
Quand Festen ouvre ses portes en 2002, le cercle des disquaires indépendants de la rive droite est très réduit. « Rough Trade avait tiré le rideau en 1999. Restaient Wave, rue Keller, Bimbo Tower, passage Saint-Antoine, et Le Silence de la rue, rue Faidherbe. Le triangle des Bermudes (rires) ». Stéphane est à un tournant de sa vie : on ne veut plus de lui nulle part, et lui non plus. En haut de la liste des métiers potentiels, après « souteneur » et « gigolo », « disquaire ». Il trouve rapidement l’endroit, au 78 boulevard Diderot. « J’ai dû signer le bail en septembre, et ouvrir au mois de novembre. La boutique était occupée auparavant par un fleuriste. D’ailleurs, j’aurai dû reprendre le fonds de commerce, et j’aurai fait fortune : elle est située juste en face de l’hôpital Saint-Antoine (rires). Le local était doté d’une cave, dans laquelle j’avais descendu inutilement ma machine à laver qui devint de fait la table de mon 8-pistes. Tout un symbole. » En 2002, l’ADSL commence tout juste à se développer en France. On peut déjà passer commander par internet, mais Paypal n’existe pas encore. Grace à ses fanzines, Stéphane a tissé des liens avec bon nombre de labels indépendants. Par ailleurs, il dispose déjà d’une expérience dans le disque. Pour donner au magasin une touche différente, il s’enferme pendant trois jours et peint une fresque sur le mur de droite. « Quand j’ai terminé, je suis sorti m’acheter un kebab. Impressionné par mon état lamentable, le vendeur me l’a offert. »
« Je pouvais écouter le même disque toute une journée pour essayer de comprendre pourquoi je ne l’aimais pas. »
Stéphane fait poser un rideau électrique et une enseigne. Il fait tracter à la sortie des concerts indé notamment par l’intermédiaire d’Alban, grand écumeur devant l’éternel et futur vendeur chez Penny Lane. Festen ouvre le 9 novembre 2002. Des clients sont venus de loin pour assister à l’événement – certains ont même fait le déplacement depuis la Belgique. « Le fonds du magasin était composé en majorité de vinyles. Mais j’avais aussi un rayon CD-R. C’était le support en vogue pour les labels débutants – graver des CD-R revenait moins cher que presser un 45 tours ». En 2002, le post rock commence à s’essouffler et la presse s’emballe pour le rock new-yorkais. « On était aussi en plein revival psyché. Je vendais comme des petits pains les disques du label Time-Lag, qui étaient tirés entre 300 et 500 exemplaires. Le folk n’en finissait pas d’être étiré à toutes les sauces. Paradoxalement, le temps où j’ai tenu la boutique correspond chez moi à une période personnelle d’autarcie par rapport à la musique. Je pouvais écouter le même disque toute une journée pour essayer de comprendre pourquoi je ne l’aimais pas. »
Passée l’ouverture, les premiers temps sont durs. « Début 2003 a été marqué par une vague de froid qui a décimé la clientèle – et la canicule de cet été-là éradiquera peu après les survivants. Il m’est arrivé de faire zéro euro de chiffre d’affaire un samedi après-midi. Ça m’a traumatisé et j’ai mis des années à retrouver le goût du samedi ». Quand les beaux jours reviennent, Stéphane relance l’activité en organisant des showcases : Herman Düne répond positivement à l’invitation, mais aussi des formations plus confidentielles. « Je demandais à certains groupes qui jouaient sur Paris s’ils pouvaient venir faire un détour pour la boutique dans l’après-midi. J’ai même fait courir la rumeur que Godspeed You Black Emperor (en version formation totale évidemment) allait se produire à Festen – j’ai eu beaucoup d’appels et quelques clients de plus grâce à ça ! » Stéphane tient à développer un état d’esprit différent de celui qu’il a pu connaitre quand il était client à la boutique Rough Trade. « Autant les vendeurs du premier étage étaient cools, autant ceux du rez-de-chaussée étaient infects si vous ne les connaissiez pas personnellement. C’était aussi déprimant que de voir une nana se faire emmerder dans le métro. Chez Festen, j’ai toujours fait en sorte, à mon corps défendant, d’être le plus tolérant possible. Et je tentais de ne donner mon opinion que quand on me la demandait. »
Festen propose de disques en import mais se doit aussi d’avoir les nouveautés du moment, sur lesquelles le disquaire ne peut malheureusement pas s’aligner sur les prix des grandes enseignes. « À l’époque, les disques bénéficiaient à la Fnac du prix vert à la sortie. Comme je n’avais pas les mêmes conditions commerciales, j’étais obligé de vendre 3 à 4 euros plus cher. Il y en eut qui passèrent outre, par fainéantise et charité. » Parmi ses best-sellers figurent la version vinyle de « Mas Cambios » de Herman Düne, « Amalgamated Sons of Rest » (avec Will Oldham, Jason Molina et Alasdair Roberts) mais également les albums d’Explosions In The Sky, Six Organs of Admittance, Yume Bitsu et des artistes du label Constellation… « J’aurai aimé vendre plus de disques de Sun Plexus, mais je n’avais pas la clientèle pour ça – elle allait chez Bimbo Tower. À l’époque, le lanterneau indé avait une sensibilité très pop et les musiques expérimentales disposaient d’un auditoire beaucoup plus réduit qu’aujourd’hui. »
Stéphane regrette également de ne pas avoir proposé plus de fanzines. « Le début des webzines a marqué la fin des fanzines. L’arrêt a été brutal. Ça me désolait d’autant plus que je viens de la culture fanzine. Chez Rough Trade, si j’offrais un flexi à l’intérieur, je pouvais vendre jusqu’à 100 copies d’un fanzine que j’avais édité. Aujourd’hui encore, avec les sorties de mon label, je continue à distribuer un fanzine. Il s’appelle « Les grandes largeurs », j’en fais 20 exemplaires à chaque édition. C’est si facile finalement : deux chroniques de trucs méchamment biens, deux interviews d’artistes peu loquaces, une blagounette sur trois-quatre films ou bouquins dispensables, et l’affaire est dans le sac ! »
Début 2004, les affaires ne vont pas au mieux. La période des fêtes est passée et l’année commence encore plus doucement que la précédente. « La pénétration de l’ADSL avait progressé. Je ne dis pas que le téléchargement a tué Festen. C’était un combat de toute façon perdu d’avance. Je dis juste que je voyais de plus en plus de clients venir noter les références des disques pour aller les télécharger chez eux ensuite. » Sans lâcher complètement l’affaire, Stéphane décide de prendre un boulot à côté et n’ouvre plus que le samedi. Au bout d’un an d’intermittence, il met la clé sous la porte. « J’ai lâché la boutique été 2005. Il était temps. J’ai revendu le stock à la personne qui a repris le bail et qui proposait à la fois des disques et des bandes dessinées. Le pauvre, il a tenu six mois. La surface était vraiment petite et quand on vend des produits culturels sur lesquels on ne marge pas énormément commercialement parlant, il faut vendre beaucoup. Aujourd’hui, mis à part un caviste, je ne vois pas qui d’autre pourrait occuper l’emplacement. Le règlement de copropriété exclut formellement la restauration rapide. »
Stéphane ne garde pas un souvenir amer de cette aventure. « C’était fugace. Deux ans, ça passe vite. Je n’étais pas un très bon commerçant, ce n’était pas mon truc. J’avais proposé quelques fois à Fred – qui a ouvert par la suite la boutique Pop Culture rue Keller – de me remplacer, et je voyais bien qu’il faisait preuve de bien plus d’enthousiasme que moi. Je n’y croyais pas et je ne faisais pas semblant. Je m’en foutais même un peu. L’emplacement, rue Diderot, n’était pas très passant. Et le début des années 2000, au niveau des sorties, n’était pas aussi enthousiasmant que l’avait été le début des années 90. » Si la clientèle n’était pas nombreuse, Festen a laissé de bons souvenirs : « C’est à Festen que j’ai rencontré un Brestois avec lequel je joue encore aujourd’hui. Je continue à recevoir des messages de sympathie, je suis parfois abordé par d’anciens clients – malheureusement, je ne suis pas du tout physionomiste ». Le fait d’avoir fermé le magasin lui a permis de se refaire la cerise et, plus tard, de consacrer plus de temps à sa propre musique, aussi bien au sein de son groupe Acetate Zero et de son projet solo Astatine qu’avec son label, le jeune Fissile, avec lequel il a publié pas moins de 18 disques en un an et demi. « Je fais des sorties entre 15 et 20 exemplaires. Je fais tirer ce qu’on appelle des « Lathe Cut », qui sont un peu l’équivalent des vinyles sauf qu’ils donnent un son plus chaud même s’il est moins précis. Du lo-fi nostalgique avec une pochette soignée pour presque personne en somme. Aujourd’hui, du fait du retour des majors sur le marché du vinyle, les usines de pressage ne peuvent plus suivre et les commandes passées par les labels indépendants se retrouvent systématiquement en dessous de la pile. »
Ses meilleurs souvenirs de Festen ? « Les parties de foot dans la boutique pour tromper l’ennui – La vitre n’a jamais cédé, pourtant c’est pas faute d’avoir envoyé de ces mines en guise de pénos. Et la visite de cette vieille dame qui, voyant marqué Festen Records Store sur l’enseigne, croyait que je vendais des stores ».
❤
j’ai connu le même sort avec les deux shops babouin 1er a colmar et babouin records a strasbourg , laurent pavia de radio couleur 3 a ouvert le shop a colmar en 1993 et je l’ai rejoint un an plus tard en 1994 ,le shop a strasbourg a du ouvrir en 1995, « Sur les grosses ventes de rock indé » (tinderstick,divine comedy,beck etc) nous subissions les 20 pour cent de la fnac .Les années 90’s furent a 99 pour cent des années CD ,nous avions des rayons vinyles ,mais nous en vendions tres peu ,le renouveau du vinyle est arrivé au milieu des années 2000 alors que notre shop de colmar à du fermé vers 1996 et celui de strasbourg vers 1997/98 ,je me souviens que sur la fin le Peer-to-Peer nous a fait beaucoup mal ,d’un coup plus de la moitié de la clientele c’est mis a telechargé comme des fous ,si a la fin je voyais passé 5 clients par semaine c’etais un miracle .Notre principal fais d’arme c’est d’avoir vendu environ 500 cd du 1er album de lambchop en import surtout grace a la vpc via la pub dans les inrocks et notre autre fais d’arme ce fut d’avoir a notre bien modeste echelle contribué a faire connaitre Jean Bart en france et ceux bien avant les inrocks et consorts.Je suis heureux d’avoir pu exercer ce qui fut pour moi le plus beau metier du monde (disquaire) et je ne désespère toujours pas a presque 50 piges de le redevenir un jour ,j’espere cela pour 2020
Bonjour,
Je me rappelle très bien de l’excellent Babouin Records à Strasbourg.
Une mine d’or.
J’y ai joué mes deux premiers concerts sous le nom de Dimanche Désuet en septembre 1995 et septembre 1996.
Peut-être t’en souviens-tu ?
Des très bons souvenirs.