Il y a quelque chose d’immédiat et d’infiniment attirant dans le premier album de Ryan Krga. Une indéfinissable familiarité qui, dès que l’on cherche à poser des mots ou des références sur ce premier sentiment irrépressible de sympathie et d’intimité déjà partagée, fait resurgir quelques traits étonnants qui rappellent un peu Liam Hayes, cette étoile mystérieuse et légèrement toquée qui traverse épisodiquement l’espace-temps de la pop haut-de-gamme. Au-delà même des coïncidences géographiques – Chicago où ils résident tous les deux – on croit discerner une certaine communauté d’inspiration dans ces deux volontés, certes distinctes, mais qui semblent tendre avec la même énergie farouche vers des points de fuite assez similaires.
Très très loin de leur époque, à côté de toutes les plaques imaginables – cette incroyable pochette en témoigne, entre le manifeste situationniste à la Go 2 de XTC (1978) et l’exhibition amateure, tout juste digne d’une fête de la musique improvisée au square municipal. Comme par hasard – mais il n’y en a pas vraiment – c’est en consultant le profil virtuel du premier qu’on tombe sur le terme sans doute le plus adéquat pour qualifier la musique du second. Les rédacteurs avisés de la Wikisphère emploient ainsi pour désigner les œuvres de Plush et de Hayes en solo l’expression de Ork-Pop. Et c’est très exactement cela que l’on entend ici, pour peu que l’on détourne l’étiquette de sa signification abrégée d’origine – nulle trace d’orchestre ni d’arrangements flamboyants sur ces dix titres taillés au plus près de l’os – pour l’imaginer en hommage à Terry Ork et au label immensément important – Ork Records donc – qu’il créa au cœur de l’effervescence punk new-yorkaise des années 1970.
C’est un peu de cette ébullition bohème et nonchalante qui ressuscite sur les trottoirs de Moi St., alors qu’on jurerait même y voir déambuler quelques-uns des pensionnaires les plus prestigieux de l’écurie entretenue par l’ancien compagnon de route de Television : Prix, The Db’s et Alex Chilton bien sûr, pour ce sens des contrastes en clair-obscur et des mélodies qui résonnent en plein cœur de la nostalgie désabusée – il suffit de contempler quelques instants les lueurs de ce Heavy Star conclusif pour entrevoir le fantôme d’une autre étoile gigantesque. Sans déférence mortifère, KRGA est parvenu à réincarner cette esthétique si attachante de l’approximation vacillante au fil de ces chansons boiteuses, mais qui flageolent toujours avec une grâce admirable. Chaque hésitation, chaque perte d’équilibre apporte sa touche au groove singulier qui imprègne à la fois l’ensemble et les détails constitutifs – notamment Disposable Treat ou l’instrumental Sancerre Nights qu’on jurerait tout droit rescapé d’une nuit d’improvisation arrosée dans les sous-sols de la Villa Nellcôte. Et lorsque la Telecaster prend la parole le temps de quelques solos bancals, sans esbroufe, elle sonne exactement comme ce qu’elle devrait toujours demeurer – à savoir un gros tas de câbles électriques emballés dans une boîte vernie. Exigeant envers ses propres compositions, aventureux et spontané à l’heure de les mettre en forme, KRGA est parvenu d’emblée à composer sa propre formule de la parfaite imperfection.