Jouir pour lutter

La Philharmonie de Paris consacre une exposition au Disco, mouvement au cœur des revendications d’alors jusqu’à aujourd’hui.

Paradise Garage, 1979 (détail) / Photo : Bill Bernstein
Paradise Garage, 1979 (détail) / Photo : Bill Bernstein

Le disco recèle un étrange paradoxe. Ce style, assis chronologiquement entre l’épanouissement grand public de la soul afro-américaine et l’explosion de la House, s’avère toujours autant apprécié, surtout les soirs de nouvel an, que totalement méconnu. C’est d’ailleurs sur cette étrange réalité que les maitres d’œuvres de l’exposition (les commissaires Jean-Yves Leloup, Patrick Thévenin et Marion Challier, accompagnés de Dimitri from Paris pour le décorum vinylesque et l’expertise discographique) ont insisté lors de la présentation auprès de la presse. Sa signification politique et sociale, son hédonisme militant, notamment chez les minorités afro-américaines et LGBTQIA+, se confond avec un certain doute, voire dédain, envers sa signification et sa profondeur artistique. Il suffit pourtant d’écouter les compilations Disco parue chez Mastercuts ou BBE pour se convaincre du contraire en une petite heure d’écoute. Et il serait un peu trop, facile de blâmer seulement Claude François pour ce qui concerne la France, ou les Village People pour le reste du monde. Nous ne sommes de toute façon pas l’Angleterre, si attachée à sa précieuse généalogie royale du dancefloor, de la Northern Soul (et ses hits pré-disco à l’instar de Unwanted Love des Montclairs (1972), par exemple) via la Hi-NRG pour aboutir au disco, puis évidemment au second Summer of Love.

Le disco fut un hymne. Un hymne au groove dont il hérita aussi bien du funk rugueux de James Brown ou du Gap Band que du son raffiné de la Motown ; une continuité qu’incarna à merveille Diana Ross. Un hymne aux nouvelles technologies et à des productions qui ne se revendiquaient pas encore électroniques (avec l‘épanouissement de l’édit -porté aux nues par Danny Krivit– et du remix via le triomphe du maxi). Un hymne à la party et au clubbing. Un hymne au plaisir et au sexe. Un hymne aussi à New-York (écouter Native New Yorker d’Odyssey ou There But For The Grace Of God Go I de Machine). Un hymne aux minorités qui rendaient la Big Apple si singulière. Jouir pour lutter, suer pour baiser, baiser pour s’aimer, soi-même et occasionnellement les autres.

Toute cette mythologie urbaine a été souvent mal digérée dans l’univers mainstream et recracher improprement au cinéma (Les derniers jours du disco de Whit Stillman, avec toutefois l’irradiante Chloë Sevigny). Le disco fut surtout un texte sacré du plaisir, enluminé par des chanteuses (célèbre telle Chaka Khan ou plus rares comme Jocelyn Brown ou Claudja Barry), métamorphosées en divas et amoureuses dominatrices (l’orgasmique I Feel Love de Donna Summer), jusque dans leur tenues de lumière et dos nus, tandis que les hommes, y compris hétéros, ridiculisaient leur virilisme (no comment sur les costards pailletés), parfois à leur corps défendant.

Diana Ross & Michael Jackson, 1978 / Photo : Hasse Persson
Diana Ross & Michael Jackson, 1978 / Photo : Hasse Persson

Alors, en nous déshabillant de tout snobisme élitiste ou de suffisance puriste, il faut reconnaitre que cette exposition -c’est souvent le cas à la Philharmonie- accomplit parfaitement son office d’éducation populaire, et ce qui manque d’exhaustivité ou d’érudition se retrouve dans le magnifique catalogue publié aux éditions de la Marinière. Cet éclairage historique, plus que nécessaire alors que déferle la contre-révolution trumpienne, nous renvoie les reflets réconfortants de cette (boule à) facette de la musique du peuple par le peuple (« Real disco for real people » affirmait la compilation Disco spectrum de Joey Negro). Un rappel également, quelque part entre Antonio Gramsci et Sylvester, que pour lutter, il faut savoir s’amuser et jouir.


Disco, à la Philharmonie de Paris, jusqu’à 17 août et Disco, I’m coming out, dirigé par Patrick Thevenin (Philharmonie, éditions de la Martinière)

BONUS : Playlist DISCO par Nicolas Kssis-Martov

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