Depuis le début des années 1990 avec Brise-Glace et Gastr Del Sol, formations estampillées « post-rock », jusqu’à ses monumentales Steamroom (49 volumes à ce jour), sans oublier bien évidemment ses disques sur Drag City, son label historique, ou encore ses multiples collaborations avec la crème de la scène expérimentale, Jim O’Rourke est sans aucun doute l’un des musiciens les plus précieux de ces dernières décennies. Passeur indispensable auprès du public pop de toute un pan de la création musicale actuelle (drone, minimalisme, musique répétitive, etc. ), songwriter génial et producteur de tout premier ordre, son importance est assimilable à celle d’un Eno, par exemple.
Une discographie impressionnante et aujourd’hui consacrée qui n’en évite pas moins certains gestes trop convenus caractérisant paradoxalement la production avant-gardiste contemporaine : c’est ce qui frappe à l’écoute de la pièce qui constitue Shutting Down Here, en contournant certains lieux communs trop souvent entendus pour s’engager dans une passionnante relecture de l’héritage des musiques dites électro-acoustiques. Comme l’explique la notice qui accompagne le disque, celui-ci « couvre symboliquement une période de trente ans, entre deux visites de Jim O’Rourke au GRM, la première en tant que jeune homme fasciné par l’institution et son répertoire, la seconde en tant que musicien accompli (…) », mais qui éviterait l’écueil de l’hommage trop référencé pour proposer un réinvestissement personnel de cette tradition. Les trente-quatre minutes que dure Shutting Down Here confrontent en effet la pianiste Eiko Ishibashi, Atsuko Hatano aux cordes et Einvind Lønning à la trompette, permettant au travail de O’Rourke de prendre toute sa portée : textures électroniques, laptop music et field recording côtoient la matérialité instrumentale propre aux musiques improvisées, pour ici explorer une esthétique issue de la musique concrète. On pense bien évidemment aux grandes figures du studio de recherche français, comme François Bayle ou Bernard Parmegiani, qui auraient rencontré d’autres influences du côté des avant-gardes minimalistes nord-américaines notamment. Tout en quiétude et tension, alternant réductionnisme et abstraction bruitiste, la pièce est impressionnante de maîtrise.
Et c’est dire tout le plaisir que nous pouvons avoir à « retrouver » un Jim O’Rourke au sommet de son art, aujourd’hui « retiré » au Japon et parfois peu disposé à nous donner de ses nouvelles, mais qui ici profite de cette nouvelle série du label Mego consacrée au GRM pour nous rappeler qu’il est bien l’un de nos contemporains essentiels.
P.S : Saluons par la même occasion l’initiative du label autrichien qui, après sa fameuse Recollection GRM, inaugure avec ce disque et un autre Forma / Metabolist Meter de Lucy Railton / Max Eilbacher, une nouvelle série Portraits GRM. Consacrée à des figures émergentes de la scène expérimentale contemporaine, elle témoigne aussi et surtout de la vitalité d’une institution qui aura fêté en 2018 ses soixante années d’activités.