L’été fut l’occasion de rattraper un peu notre retard sur l’année écoulée en matière de nouveautés. Sorti mi-mai, quelques jours après la fin du confinement, Abracadabra de Jerry Paper n’avait pas eu l’honneur d’une chronique ici contrairement à Like a Baby, son prédécesseur, sorti fin 2018. Enfin physiquement récupéré et posé sur la platine, Abracadabra est aussi séduisant que le précédent si ce n’est plus. Certes Jerry Paper reste fidèle à son esthétique et continue d’œuvrer dans la même direction mais le résultat est toujours aussi charmant, espiègle et élégant.
[NDLR: Depuis le 18/08 dernier, Jerry s’est ouvert sur son besoin d’être considéré comme non binaire et souhaite que nous utilisions They/Them, nous tenterons de traduire et respecter sa volonté en nous inspirant des règles d’écriture inclusive.]
Sa voix veloutée de crooner glisse entre les oreilles (The Imposter, All I Need). L’esthète se réinvente dans une sorte de Sinatra indépendant et iconoclaste qui aurait remplacé les fréquentations de la Mafia par celles des cercles progressistes d’une société américaine en pleine dé/re-construction. Sa musique oscille en permanence dans une zone paradoxale où le bizarre s’amourache de l’écriture classique. Il y a chez Jerry Paper, une vraie maîtrise de la composition et des arrangements mis au service de l’étrangeté et de la singularité de l’Américain.e. Par certains aspects, l’artiste s’inscrit dans une tradition plus large de musique destinée aux adultes plutôt qu’aux adolescents. La rébellion prend alors des allures de cocktail au rhum pris dans un garage converti en tiki ou sur le ponton en bois exotique d’un voilier. À l’image d’Aja de Steely Dan sorti en pleine vague punk (1977), Jerry Paper défend une approche dans laquelle le geste, bien que délicieusement subversif, prend une forme avenante et ensorcelante. Abracadabra est en effet un disque plaisant à écouter. Tout coule de source. Cela sonne bien, ça groove au poil. Il y a pourtant derrière la façade polie et soyeuse, un truc plus ambivalent et bizarre. L’ensemble se déguste ainsi d’une traite bien frais, shaken not stirren et surprend grâce à un petit twist sur une recette éprouvée. Si le disque ronronne parfaitement, quelques morceaux sont particulièrement mémorables et ravissants. La disco laidback de Cholla s’immisce délicatement dans les interstices de notre intimité. La guitare funky et le piano électrique emprunté aux Dobbie Brothers de Trash Can prolongent l’été, soufflant une brise d’air frais. Slow Down, Buddy nous charme par sa nonchalance et l’élégance de ses harmonies quand Quicksand arrive à rendre une guitare fuzz aimable et classieuse. Avec Abracadabra, Jerry Paper continue de faire dodeliner les têtes et réchauffer les cœurs.