Le 07 décembre dernier, à l’heure où le terre entière fourbissait son Top 2018, Jérome Minière publiait en catimini un album, Dans la forêt numérique. Son dixième. Qui, au fur et à mesure des écoutes, est devenu mon disque francophone favori de l’année 2018, coiffant à la dernière minute Thousand sur la lignée d’arrivée. De la part d’un garçon que j’avais totalement perdu de vue, autant dire que je n’en attendais pas tant.
Et pourtant. Dès les premières mesures de De Vive Voix, le titre qui ouvre l’album, s’accomplit un petit miracle. Le même que celui qui s’opère sur les meilleurs titres de Notwist : faire renaître la mélancolie des années 80 dans les années 2010. Si la ligne de basse de De Vive Voix évoque irrésistiblement Peter Hook, la production du titre est résolument moderne et intimiste. Une boîte à rythmes, une nappe de synthétiseur, une voix qui crée son propre écho. C’est une chanson sur laquelle j’ai bloqué dès sa découverte : elle est à la fois entraînante et désabusée. Je m’empêchais d’avancer dans l’album pour avoir le plaisir de la réécouter encore une fois. Jérôme Minière chante d’une voix fatiguée que je ne lui connaissais pas. Sur le refrain, on croirait presque entendre des onomatopées : “Elle va où elle veut elle vole elle vit elle vient elle voit”.
Le synthétiseur et la boîte à rythmes sont des constantes de cet album que Jérome Minière a réalisé seul et publié lui-même, et qui s’inscrit sous le signe du dépouillement. Comme s’il avait ramené chaque chanson à l’essentiel : au texte, à la mélodie. Retrancher plutôt qu’ajouter. Couper plutôt que coller. Comme sur ses précédents disques, Jérôme Minière se garde bien se limiter à un seul registre. Les chansons les plus légères évoquent aussi bien Albin de la Simone (Haut bas Fragile) que Mathieu Boogaerts (Le plus cool des cools). Mais c’est quand il renoue avec le parlé-phrasé avec lequel il avait signé au milieu des années 90 Monde pour n’importe qui que Jérôme Minière me touche le plus : il est à ma connaissance un des seuls punchlineurs pop (“Nous sommes des animaux avec des idées”, “La vérité est une espèce menacée…”) à ne jamais avoir cédé à la facilité. La seconde partie du disque, plus introspective, contient l’autre sommet de ce millésime 2018 : L’estuaire, dont la fragilité n’est pas sans évoquer la discographie de The Field Mice. Ou celle de Rémi Parson.
Jérôme Minière a aujourd’hui 46 ans. Sur les photos récentes que j’ai vu de lui, il a toujours ce visage d’adolescent espiègle et ce sourire franc. Dans la forêt numérique est présenté comme la première partie d’un diptyque dont le second volet, Une clairière, est annoncé cet hiver sur Objet Disque.