Jared Swilley des Black Lips : « Notre processus de création est toujours aussi chaotique »

Black Lips / Photo : DR
Black Lips / Photo : DR

Vingt six ans d’existence. Onze albums au compteur. Une quantité incalculable de concerts et autant de cuites. Un membre mort en 2002. Trois autres qui ont quitté le radeau de la Méduse en cours de voyage. L’aventure des Black Lips n’aura pas été un long fleuve tranquille. Pourtant, contre vents et marées, les mauvais garçons de Géorgie sont toujours là en 2025, avec Cole Alexander et Jared Swilley comme seuls survivants du line-up originel, accompagnés depuis 2013 par la fantasque Zumi Rosow, depuis 2017 par le très chevelu Oakley Munson et à partir de 2018 par l’ancien Demon’s Claws Jeffrey Clarke. Depuis une dizaine d’années, et surtout après le départ des excellents Ian St Pé (guitare voix) et Joe Bradley (batterie, voix), certains fans de la première heure avaient trouvé que les garnements d’Atlanta étaient presque devenus trop sages à leur goût, surtout dans leurs explorations country jugées trop éloignées de leurs sulfureux débuts garage-punk. « Tu ne peux pas être un punk-rocker toute ta vie […] enfin si ! Dans le cœur et la tête, tu peux, mais pas physiquement » avait déclaré Jared Swiley dans une interview pour le blog Indie Music. Les fans étaient par ailleurs restés circonspects de les voir se retrouver à jouer dans des galeries d’art et soigner de plus en plus leur image. Pourtant, leur dernier disque Season of the Peach – le plus globalement réussi depuis Arabia Mountain – a de quoi faire taire les peine-à-jouir, car il ajoute à leur répertoire quelques-unes de leurs meilleurs chansons.

Le disque débute par The Illusion, morceau velvétoïde en deux parties de Jeffrey Clarke qui rappelle l’atmosphère de son très remarquable album solo Locust (2023), mais part rapidement vers d’autres horizons plus rock and roll. On retiendra d’abord l’admirable Wild One interprétée par Zumi Rosow, qui n’aurait pas juré sur un disque de Lee Hazlewood, et dont l’atmosphère cinématographique n’aurait pas non plus déplu à Ennio Morricone. So Far Gone, avec ses guitares bourdonnantes façon Electric Prunes et son âpreté garage montre que nos affreux préférés savent encore faire des tubes dignes de leur tumultueuse jeunesse. Kassandra s’impose aussi comme un des titres les plus réussis du disque, avec son ambiance psychédélique, sublimée par le chant désinvolte de Jared Swiley. Baptism in the Death House rappelle quant à elle It’s All Over Now des Rolling Stones tandis que Until We Meet verse carrément dans le gospel, mettant en avant les racines sudistes du groupe dont les idoles ont toutes appris le rock and roll à l’Église. Tippy Tongue avec son couplet vénéneux suivi de son refrain pop imparable, où les voix éraillées de Cole Alexander et de sa dulcinée Zumi Rosow se mêlent jusqu’à fusionner, compte elle aussi parmi les meilleurs titres du disque et renoue avec leur débuts tonitruants. Enfin Hatman, berceuse aux accents doo-wop qui fait songer à Not Given Lightly de Chris Knox, montre encore une fois que les apôtres du flower-punk n’ont rien perdu de leur sens mélodique et qu’ils ont décidément plus d’une corde à leur arc.

Jared Swilley (Black Lips) / Photo : Edwina Hay
Jared Swilley (Black Lips) / Photo : Edwina Hay

En plein milieu d’une tournée avec les Viagra Boys, qu’on imagine chargée en bibine et en substances déconseillées à la jeunesse, Swilley a bien voulu nous accorder une interview express.

Comment et où votre nouvel album Season of the Peach a été enregistré ? C’était à Atlanta ?

Jared Swilley : On a enregistré cet album chez notre batteur, Oakley. Ou plus précisément, dans sa grange. Il y a construit un studio pendant la pandémie. C’est dans les montagnes Catskill, dans l’État de New York, au nord.

Pourquoi ce titre ?

Jared Swilley : On a en quelque sorte tous choisi le titre ensemble. On en avait plusieurs en lice, et on s’est finalement mis d’accord sur celui-ci. On savait que ça allait tourner autour des pêches.

Peux-tu nous parler de votre processus de création ? Est-il démocratique ou chaotique ? 

Jared Swilley : Cette fois, le processus a été paisible. C’est le cas la plupart du temps. Bon, c’est toujours aussi chaotique, mais la façon dont on choisit les choses a toujours été démocratique.

Quelle expérience d’enregistrement d’album a été la meilleure ?  Et la pire ?

Jared Swilley : Celle-ci était plutôt bonne. Je pense que la meilleure était quand on a enregistré Satan’s Graffiti avec Sean Lennon. C’était aussi dans la région des Catskill. Je préfère enregistrer loin des grandes villes. J’aime être dans la nature. Je ne peux pas vraiment dire laquelle a été la pire. C’est toujours assez amusant, en général.

Votre premier single – le génial Wild One – sonne un peu comme du Lee Hazlewood solo mélangé à Ennio Morricone, avec une atmosphère très cinématographique. Comment cette chanson est-elle née, car c’est surprenant et plutôt inattendu de la part de punks d’écrire ce genre de titres ? Les films vous inspirent-ils ?

Jared Swilley : C’est une chanson de Zumi, donc c’est difficile pour moi de répondre. On aime faire des choses inattendues. Les films nous inspirent, oui. Je sais que Zumi est inspirée par les films.

Zumy assure le chant principal sur beaucoup de chansons de cet album. Est-ce qu’elle écrit aussi des chansons ?

Jared Swilley : Oui, Zumi a écrit quelques chansons pour cet album.

Kassandra a des accents psychédéliques vraiment cool. Quel genre de groupes psychédéliques aimes-tu ?

Jared Swilley : Merci. Je pense que les 13th Floor Elevators sont probablement mes préférés. J’adore aussi The Seeds !

Certaines chansons du nouvel album semblent aussi être habitées par l’esprit du gospel. Est-ce lié à vos racines sudistes ?

Jared Swilley : Oui, tout à fait. J’ai grandi dans une église gospel, donc c’était en quelque sorte ma première influence musicale.

Hatman ressemble à une berceuse, avec un glockenspiel, mais des paroles sombres. Cela aurait pu être une chanson d’amour mais on dirait plutôt la description d’un cauchemar ? Pourquoi ? As-tu déjà fait des rêves aussi effrayants ?

Jared Swilley : Je pense que c’est un peu comme une berceuse doo-wop. Ça décrit le genre de cauchemars qu’on fait quand on prend trop de Robitussin (sirop pour la toux de la famille des opiacés). Je fais des rêves bizarres, mais pas comme quand je buvais trop de sirop.

Jeffrey (Clarke) a sorti un album solo génial, à mon avis. Votre ex-membre Ian Saint-Pé aussi. J’ai entendu que tu étais sur le point d’en sortir un. Peux-tu nous en parler ? Pourquoi n’as-tu pas enregistré ces chansons avec les Black Lips ?

Jared Swilley : En fait, je ne connais pas vraiment leurs projets solos. Je pense qu’on compose tous des trucs qui sont mieux adaptées à d’autres projets.

Apocalypse Love a été enregistré avec Saul Adamczewsky de Insecure Men / Fat White Family, comment s’est passée cette expérience ?

Jared Swilley : C’était génial de travailler avec lui ! C’est une vraie force créative, et très facile à vivre en studio. On a enregistré le disque à Paris, d’ailleurs, ce qui était une expérience très cool.

Saul A. a récemment fait une liste des chansons qui l’ont inspiré pour son nouvel album. Y a-t-il des chansons spécifiques que vous écoutiez pendant l’enregistrement de Season of the Peach ?

Jared Swilley : Honnêtement, on n’écoute pas beaucoup de musique quand on enregistre. Je ne peux pas vraiment citer de chansons spécifiques. J’écoute généralement juste de vieux disques de rockabilly et de doo-wop.

Et votre collaboration avec Sean Lennon ?

Jared Swilley : Travailler avec lui était incroyable, on était au milieu des bois, et c’était magique.

Tu connais Ian Svenonius de Escape-ism, The Make-up, etc. As-tu déjà pensé à une collaboration avec lui ?

Jared Swilley : Je crois que Cole et Zumi ont collaboré avec lui.

Si tu pouvais rencontrer tes héros musicaux morts, qui choisirais-tu ?

Jared Swilley : Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, Little Richard, Joey Ramone et Link Wray.

J’ai vu une vidéo où vous jouez des chansons « a cappella » sans guitares amplifiées. As-tu déjà pensé à faire un album acoustique/unplugged comme Nirvana ou Black Rebel Motorcycle Club l’ont fait ?

Jared Swilley : Je ne suis pas sûr pour un album entier, mais j’aime bien faire des concerts acoustiques, on en a fait pas mal au fil des ans et j’apprécie toujours.

Sur le site setlist.com, j’ai remarqué qu’il y a beaucoup de chansons fabuleuses (à mon avis) que vous jouez rarement ou jamais en concert, comme Spidey’s Curse, Crystal Night, New Direction ou Bone Marrow ? Pourquoi n’êtes-vous pas motivés pour les jouer ? Penses-tu que certaines chansons sont faites pour rester des « chansons de studio » ?

Jared Swilley : Oui, certaines chansons ne sonnent tout simplement pas très bien en live. On essaye certaines chansons que j’aime vraiment sur scène, mais parfois, ça ne passe tout simplement pas.

Allez-vous faire une tournée en France ?

Jared Swilley : Oui, bien sûr. On vient de faire un concert à Paris, et un à Marseille. C’était génial, et j’ai hâte de revenir !

J’ai lu que ton père et ton grand-père étaient des prédicateurs protestants. Malgré ton style de vie rock and roll, es-tu religieux, comme Little Richard, Nick Cave ou Shane MacGowan des Pogues ?

Jared Swilley : Ouais, je viens d’une famille entière de prédicateurs. J’ai une sensibilité religieuse, mais je garde ça assez privé et séparé de ma vie rock n’ roll. Bien que, je ne pense pas qu’ils soient incompatibles.

On m’a dit que tu lisais beaucoup de livres. Quel genre ?

Jared Swilley : C’est vrai. Surtout des livres sur la guerre et l’histoire. En ce moment, je lis un livre qui s’appelle Dominion de Tom Holland. Je pense que je vais ensuite relire Délivrance de James Dickey.

J’ai lu que tu aimais des artistes comme Link Wray, Little Richard ou les Ramones, ce qui ne semble pas surprenant, mais peux-tu nous parler d’artistes ou de groupes que tu aimes même si ça n’a rien à voir avec le rock and roll, le punk ou le garage, même certains que tu es presque gêné d’aimer ?

Jared Swilley : Je pense que la plupart des trucs que j’aime n’ont rien de surprenant. Je n’arrive pas vraiment à trouver quelque chose qui me gênerait. J’aime bien Screeching Weasel. Peut-être que c’est gênant ?

Qu’écoutes-tu en ce moment ? Y a-t-il des groupes récents que tu aimes et que tu recommanderais ?

Jared Swilley : Quand j’écoute de la musique, c’est presque toujours un mélange d’années 50 sur Spotify. Tous mes disques ont été perdus quand je les ai fait expédier à travers le pays, alors j’ai arrêté d’en acheter. Dernièrement, j’ai beaucoup écouté Conway Twitty. Plus je vieillis, moins j’écoute de nouveaux groupes. On a joué avec un groupe cool il y a quelques jours, appelé Gunga. Ils viennent d’Atlanta. Je pense qu’ils pourraient percer.

Quel est ton sentiment sur le climat actuel aux États-Unis ? N’as-tu pas l’impression d’être menacé de l’intérieur ?

Jared Swilley : Quand tu te promènes dans la rue et que tu fais des choses de la vie de tous les jours, tout semble bien. Quand tu allumes les infos ou que tu vas sur Internet, on dirait que le chaos et la folie sont partout. J’essaie de vivre une bonne vie et de faire ce qu’il faut.

As-tu des nouvelles de Ian et Joe ?

Jared Swilley : Je sais qu’Ian joue dans des groupes et enregistre. Il est aussi road manager pour certains groupes. Je vois Joe en ville de temps en temps, il va bien.


Season of the Peach par The Back Lips est sorti chez Fire Recordings

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