1986 est une année charnière à bien des égards. À jamais liée dans nos cœurs de popeux à la cassette C86 du NME, la période est tout aussi importante dans la musique afro-américaine. Si l’année suivante, le new jack swing souffle un vent de modernité sur la scène Rhythm & Blues nord-américaine, le séisme gronde déjà en 1986. Ils s’appellent Cameo ou Janet Jackson et inventent la soul numérique. Word Up! et Control frayent ainsi avec les dernières machines et séquenceurs. Synthétique et tranchante, cette nouvelle musique ne néglige pourtant pas les compositions.
L’album Control de Janet Jackson est, à ce titre, particulièrement réussi et impressionnant. La chanteuse étatsunienne a à peine vingt ans et débarque déjà avec son troisième album. Sur les deux premiers, Janet Jackson se cherche. Post-disco, synth-pop, la chanteuse y suit les tendances sans toujours briller, malgré quelques très bons morceaux. Elle fait cependant une rencontre déterminante : le duo de producteurs Jimmy Jam et Terry Lewis. Ces derniers font leurs armes au sein de The Time. Cette formation de Minneapolis assure le backing band des concerts de Prince. Jimmy Jam et Terry Lewis réalisent en parallèle leurs premières productions. Un coup du sort scelle la trajectoire du duo. Après avoir raté un concert de The Time, ils sont exclus du groupe. Les voilà lancés dans la production : en 1983 ils relancent ainsi la carrière discographique de The S.O.S. Band puis de Change. Trois ans plus tard, Jimmy Jam et Terry Lewis souhaitent aller encore plus loin et s’attaquer à la musique pop. Deux projets vont les y aider : Human League et Janet Jackson.
Avec la seconde, le synchronisme est parfait. Tout le monde a quelque chose à prouver et défendre sur Control. Janet Jackson aimerait sortir de l’ombre du reste de sa famille tandis que les deux arrangeurs s’efforcent de faire leur place dans une industrie du disque très concurrentielle. Il en résulte un disque d’une efficacité redoutable. Control a l’assurance des grands et se contente de neuf morceaux pour convaincre le public. Un choix judicieux, car l’album est une succession de hits. Jimmy Jam, Terry Lewis et Janet Jackson en écrivent la majorité (six morceaux) ensemble. Le disque démarre en trombe sur Control, une déclaration d’intention, funky, aux réminiscences princières. Minimaliste et frénétique, la production fuse !
L’album enquille sur Nasty. La chanson possède déjà de nombreux codes du new jack swing, à commencer par cet usage extravagant du orchestral hit. Deux morceaux et déjà deux cartouches à faire frémir la concurrence ! Pas le temps de se reposer, What Have You Done For Me Lately maintient fortement la pression tandis que You Can Be Mine conclut la face A sur une note plus rock. Sur l’excellente The Pleasure Principle, Janet Jackson fait appel à un autre membre de The Time (Monte Noir). When I Think of You offre une respiration pop à cette avalanche de rythmiques tranchantes. C’est une des chansons les plus mémorables de Control, une merveille où la voix de Janet Jackson brille d’un éclat inoubliable. La production crie de toutes ses pores DX7, pour un rendu scintillant et plastique.
L’album enchaîne sur He Doesn’t Know I’m Alive, un funk boogie classique mais dégourdi. Le morceau rappelle ainsi aux consœurs, Madonna en tête, que Janet Jackson n’est pas là pour faire de la figuration. Control se conclut enfin sur deux slows, histoire de ne pas oublier les amoureux. Si Funny How Time Flies démarre sur un monologue approximatif en français, la chanson offre une expérience de sensualité inédite sur Control. Jimmy Jam et Terry Lewis y révèlent toute l’étendue de leur savoir-faire. Les arrangements dépouillés offrent un boulevard à Janet Jackson pour un épilogue de toute beauté. En neuf morceaux, la chanteuse afro-américaine a réussi son pari. Elle signe un des classiques ultimes des années 80, un grand disque de R&B pour les temps nouveaux. Presque 40 ans plus tard, Control subjugue toujours autant par son ambition et son originalité. À ce moment-là, la plus douée des Jackson est indéniablement Janet, elle porte de l’avant le reste de la fratrie et va maintenir ce niveau d’exigence sur ses albums suivants (Rhythm Nation 1814, Janet, The Velvet Rope).