I Love You But I’ve Chosen Darkness, Fear Is On Our Side (Secretly Canadian, 2006)

On n’y croyait plus. Trop longtemps, ce groupe est resté le secret le mieux gardé de la scène musicale américaine : concerts distillés au compte-goutte, disques livrés avec parcimonie. Depuis ses premiers balbutiements en 2001, il n’en avait sorti que deux – Un CD constitué de cinq morceaux, débarqué sans crier gare au crépuscule de l’année 2003 (et remerciements éternels à Etienne Greib pour avoir attiré notre attention sur We’re Still The Weaker), puis un maxi vinyle, fort de deux nouveaux titres, distribué en catimini quelques mois plus tard. C’était à la fois peu et en même temps, tellement suffisant. Suffisant pour créer une incroyable dépendance, susciter une curiosité quasi-maladive. Qrcrui pouvaient donc bien être ces types ayant trouvé l’un des noms les plus géniaux de l’histoire du rock, de ceux qui donnent juste ce qu’il faut d’indices sur leurs aspirations et ambitions artistiques, sans non plus les étaler au grand jour ? Qui étaient les auteurs de ces chansons à la grâce diffuse, au charme suranné, aux mélodies entêtantes, un pied ancré dans le passé, le regard désespérément tourné vers le futur ? Leur origine, Austin, Texas, ne dévoilait rien du mystère. Leurs accointances, un peu plus.

I Love You But I’ve Chosen Darkness est né de l’imagination de Christian Goyer et Jason McNeely, alors tous deux membres des très fréquentables Windsor For The Derby. Depuis, juste après l’enregistrement du premier EP en fait, ce dernier a préféré se concentrer sur son projet de toujours. Au chant et à la guitare, Goyer a quant à lui décidé de tout risquer dans cette nouvelle aventure. À ses côtés, ils sont quatre, pour la plupart échappés d’autres formations du coin. Il y a un batteur implacable, Timothy White, et un bassiste alerte, Edward Robert. Le guitariste Ernest Salaz, qui s’affaire également aux claviers, s’entend à merveille avec son alter ego et dernier arrivé en date, Daniel Del Favero. Ensemble, sous la houlette du peu commode Paul Barker (éminence grise, entre autres, de Ministry), en prenant leur temps, en se montrant exigeants – des sessions antérieures ont directement été fichues à la poubelle –, ils se sont affairés à ce premier album que l’on guettait inlassablement, toujours ébloui par cette poignée de chansons écoutées jusqu’à satiété depuis trois (longues) années, mais tenaillé par une peur tenace de ne jamais le voir arriver.

Les fols espoirs placés dans ce disque si souvent fantasmé auraient pu engendrer l’une de ces désillusions dont on peine à se remettre. Mais le suspense ne dure pas bien longtemps. Car on devine que Fear Is On Our Side sera conforme – et même un peu plus que cela – à nos désirs dès les premiers arpèges et le larsen de l’intro d’un The Ghost qui ne tarde pas à prendre rendez-vous avec l’éternité. On se rend compte alors que le quintette a choisi d’étoffer ses textures sonores. Qu’il ne rechigne pas à plonger en apnée dans un océan baigné d’une lumière bleutée. Qu’il aime à se draper dans un clair-obscur apaisant. Contrairement au titre qu’il a choisi, ILYBICD donne tout au long de ces douze chansons l’impression de jouer sans aucune appréhension, ni de la concurrence, ni des comparaisons. Il a métamorphosé According To Plan, un titre présent sur son second maxi dans une version ouvertement plus électronique et neurasthénique, en impitoyable machine de guerre, ruinant en quelques secondes tous les efforts consentis par Interpol pour retrouver cette part de mystère si chère à certains groupes des années 1980. Toutes guitares dehors, magnifié par une voix troublante, Lights procure l’ivresse d’un romantisme exacerbé alors que We Choose Faces se déploie avec une majesté à laquelle seuls les Doves nous avaient habitués ces derniers temps. Entre moments d’apaisement (Long Walk) et voyages au bout de l’… Inferno (At Last Is All), paysages crépusculaires (Last Ride Together) et rengaines entêtantes (If It Was Me), le groupe surfe avec une sobre élégance sur une new wave qu’on souhaite ne plus jamais voir se briser. Il ne reste plus maintenant qu’à prier. Pour que Christian Goyer et ses compagnons préfèrent encore longtemps l’obscurité à leur bien-aimée.


Fear Is On Our Side par I Love You But I’ve Chosen Darknessest sorti en 2006 sur Secretly Canadian.

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