C’est suite à la dissolution de Duster, trio devenu emblématique du mouvement slowcore – Stratosphère, paru en 1998, en est un incontournable –, que Jason Albertini, son batteur, donne naissance à son projet personnel, Helvetia. Nous sommes en 2001, à Seattle, et le jeune homme va permettre, sans doute bien plus qu’il ne l’imagine alors, à l’esprit Duster de perdurer. La compilation Gladness (2001-2006), fenêtre ouverte sur ses premières expérimentations en solitaire, regorge de ces diamants bruts, lourds de mélancolie, que Duster avait déjà colportés durant les trois années de sa courte existence. Un témoignage du talent de celui qui, à l’évidence, insufflait bien plus que le rythme dans cette formation.
En 2019, dix-neuf ans ans après Contemporary Movement (2000), Duster se reforme et publie Duster, un troisième album ambitieux, troublant, entièrement fidèle à l’identité sonore des trois amis qui célèbrent leurs retrouvailles par une série de concerts. Albertini, achevant en même temps sept ans de tournée avec Built to Spill, ne perds pas Helvetia de vue, compose sur les routes, et n’annonce pas moins de deux sorties en 2020 : Fantastic Life, en janvier, et This Devastating Map, plus remarqué, en août. La pandémie mets un frein à ce rythme effréné : le musicien se concentre sur sa vie de famille et sa musique, qu’il pratique dans son garage, à Portland. Il se lance pour défi de terminer une chanson par jour. En résulte Essential Aliens, le dixième album de Helvetia, paru le 25 juin 2021 chez Joyful Noise Recordings.
Comme à son habitude, Albertini y joue l’homme-orchestre. Percussions, guitares et synthétiseurs, il occupe tous les postes, bien que l’un d’eux ait indéniablement sa préférence. La batterie occupe une place de premier plan – au sens littéral du terme. Le titre d’introduction, véritable entrée en tambours, annonce le ton, et dès la deuxième piste, ce sont les cymbales qui se rappellent à notre souvenir, dans cet incessant tintement si typique du jeu d’Albertini et, plus généralement, des batteurs slowcore. Sur Jumper, elles évoquent le bruit du vent et sur Star Hinged Trap, elles déferlent comme une cascade. La batterie est reine, et assumée jusqu’au bruit des baguettes nonchalamment reposées entre deux prises.
Le Monsieur se montre également bien agile à manier les accords mineurs. S’ils n’infusent pas tout au long du morceau, alors ils surviennent sans prévenir, de manière presque taquine. L’album est rythmé par les ruptures, les changements d’atmosphère. Star Hinged Trap, psychédélique sans le vouloir, en est la parfaite démonstration : montée en puissance, silence et reprise nous étourdissent. Encore une fois, c’est la batterie qui dicte la conduite. Lorsque la mélancolie frôle l’apathie (Jumper, That Strange Pull), les baguettes tiennent le tout, lui permettent de rester debout. Quoiqu’il arrive, quelles que soient les émotions traversées, nous avançons, un pied devant l’autre. Rocks on the Ramp ou Skit 8 sont d’ailleurs emmenés à la façon d’une marche, non sans rappeler le Let England Shake de PJ Harvey, auquel l’empressé Why Am I Missing semble rendre hommage.
Il y a presque du tragi-comique dans tout cela : la figure de l’homme orchestre, les claquements de tambours, la marche et malgré tout, cette tristesse omniprésente. Nous pensons au Bakesale de Sebadoh (1994) ou au The Sky Is Too High de Graham Coxon (1998), confrères avec lesquels Albertini partage aussi un certain esprit grunge – manifeste, entre autres, dans sa désinvolture à ne signer que des pistes d’à peine deux minutes. A The Microphones, aussi, période The Glow, Pt. 2 (2001) dans l’allégeance au lo-fi bien sûr, mais surtout dans la sincérité des paroles ou l’intimisme des compositions.
En alternant le plus émotionnellement chargé et le plus léger, en déposant ci et là quelques décharges aux guitares saturées – l’accrocheur New Mess, façon Every Picture I Paint de Teenage Fanclub, ou Star Hinged Trap, cité plus haut – le disque maintient son équilibre et son rythme, rythme d’autre part entretenu par la vigueur de la batterie et la courtesse des morceaux. Tout s’enchaîne très vite, trop vite peut-être mais qui sait, avec celui-là, la suite pourrait déjà être en pressage.