Grand Blanc suscite dégoût ou excitation, et certains adjectifs fleurissent à son égard pour parfois formuler un rejet net. D’autres, en revanche, le voient comme la relève de la french pop (que l’on aime ici), le calant sur un piédestal à filer le vertige aux allergiques. Bref, à défaut d’un genre musical précis et comme tant d’autres, Grand Blanc réhabilite le pour et le contre, non pas dans les colonnes de sites ou magazines, mais dans la vie. Et c’est ça finalement qui est le plus étonnant.
Comment en est-on arrivé là ? Certains leur reprocheraient un manque de discours, ou de fond : oui, c’est confortable de laisser l’auditorat libre d’interprétation, ça désencombre le groupe d’une véritable vision ; quand d’autres applaudiraient à l’inverse sa démarche dénuée de calcul, nourrie à l’instinct. Le gang, tâtonnant autant qu’expérimentant, semble parfois découvrir des groupes, des styles, au même moment qu’il s’en inspire, réussissant quand même à transfigurer – ou non – la matière originelle. Bon. Il faut dire aussi que Grand Blanc était mal parti, à la base. Au petit jeu des références, presse, vidéos et blogs leur apposaient un peu trop systématiquement deux filiations – Bashung et Joy Division – sans que Grand Blanc ait demandé quoi que ce soit, et surtout, si on a l’oreille lucide, sans qu’on y voie – et le groupe en premier – vraiment de rapport. Grand Blanc a découvert la bande de Manchester en visionnant Control, sûrement en stream un soir d’orage stroboscopique, et par analogie en downloadant la discographie entière, avec une nostalgie qui fleure bon le zapping vintage ; deux semaines plus tard, le groupe écoutera l’intégrale de Partenaire Particulier – tout ça dixit les haters. Et alors ?
Le premier EP, Degré Zéro, avertissait : il fait de la cold (le titre), et ne plaisante pas (le titre). Mémoires Vives a confirmé les attentes, donc les déceptions aussi, jouant sur un terrain bâtard : pop trop doucereuse pour les fans d’indus, trop bruitiste pour les fans futurs de Thérapie Taxi. Le concept de dualité, lui, a continué de séduire, mais gardant un déséquilibre. Oui, Camille Delvecchio n’est pas seulement la moitié du duo, elle en est le charme naturel entier, ses chœurs autant que son palpitant, la nonchalance d’une main dans les cheveux et d’un sourire éteint et, dans la voix, cette étincelle qui la rend habitée – surtout quand, solo dans le titre, elle réinterprète (littéralement) Bahia, la chanson de Sanson.
Alors que son acolyte, Benoît de son nom, lui, avec sa face imposante, use d’un phrasé bâtard, aussi : ni du rap, ni du talk over, plutôt une scansion un peu punk alterno franchouillarde, freinant parfois les velléités mélodiques vers lesquelles le groupe fonce jusqu’à se prendre le mur, pour l’image. Image au mur donc, deuxième LP, qui sort aujourd’hui.
Ailleurs, le single citant Françoise Hardy et louchant sur le son Chromatics, est emmené – pour le reprendre – higher par Camille. C’est ce que je veux dire : la partie yang – lui – pourquoi pas si elle reste à l’écart de la partie ying – elle –, à l’image du très bon Les Îles : en se calquant sur la voix de Camille, lui accepte enfin de se laisser aller au lyrisme, en écho.
Du côté des paroles, le bricolage donne des agencements de mots qui claquent ou s’avèrent bancals, des bribes surréalistes, voire alambiquées, suintant l’algorithme fonction cadavre exquis. Pour le reste, Rivière commence comme The Less I Know The Better de Tame Impala ; Rêve BB Rêve fait le clin d’œil évident à Dream Baby Dream de Suicide. Niveau explicite, il y a sinon encore des références littéraires, citons John Fante avec Demande A La Poussière in Los Angeles ; Isidore Ducasse avec Le mal d’Aurore (jeu de mot, morceau Aurore) ; Romain Gary sur Belleville – « Tu as la vie devant toi » ; dans le livre, le mec vit dans ce quartier. Oui, après Montparnasse, les ex-Messins prennent cette partie du 20ème en photo sonore, un pied dans le fantasme, l’autre dans le vécu : comme une carte postale naturaliste, ou comme si j’écrivais une chanson sur la Place Saint-Louis (Metz), son manège, ses terrasses de pubs, ses déambulations après y avoir bu pas mal, et que je longeais jusqu’à la rue Lancieu, atterrissant chez l’excellent disquaire La Face Cachée pour y dégoter leur vinyle. Et me rendre compte – objectivement subjectif – qu’il y a dedans tantôt de l’harmonie, tantôt du cafouillage, du work in progress ou une production pointilleuse, des instants de saturation limite trop « grand espace » (le groupe a ouvert des lives d’Indochine à Bercy), des phases plus épurées (Isati), des bombes immédiates (Ailleurs et Les Iles donc) et d’autres à retardement (l’avenir le dira). Du déséquilibre parfait, à boire et à éponger, en somme de quoi mettre tout le monde d’accord, surtout celles et ceux qui se trouvent dans les deux camps, du dégoût ou de l’excitation.