Qu’écrire de l’amour qui va et qui dure ? Il n’est pas toujours aisé d’apporter une réponse satisfaisante – et, surtout, artistiquement convaincante – à cette interrogation aporétique lorsque l’on a choisi de creuser le sillon de son œuvre dans un registre musical qui, depuis ses origines, semble le plus adéquat pour évoquer les élans des premières passions adolescentes, l’intensité inégalable du coup de foudre ou les phases terminales et tempétueuses des déchirements. Bien moins pour célébrer, à tout juste soixante-dix ans, la sérénité apaisée de l’attachement réciproque au long cours. Pour une chanson, le couple tranquille n’est pas nécessairement un bon sujet : pas assez de vagues, de reliefs douloureux pour que l’on trouve un compte quelconque à écouter celui qui raconte calmement ses histoires de trains quotidiens qui ne cessent d’arriver à l’heure. Et pourtant, pour paraphraser ce brave Alfred, les chants d’amour les plus murs sont parfois les plus beaux. Et ceux de Gary Louris provoquent de purs sanglots.

Depuis plus de trois décennies, Louris n’a cessé de composer – seul, au sein de Golden Smog ou, plus souvent, avec The Jayhawks, ce groupe dont on s’étonnera toujours un peu qu’il n’ait jamais bénéficié, en dehors du continent américain, d’une reconnaissance à la hauteur de ses contributions considérables au renouvellement des traditions musicales locales – quelques-unes des plus jolies ballades country-rock consacrées à l’évocation du sentiment amoureux sous ses aspects les moins inhabituels : l’étincelle initiale, les langueurs de l’absence, les romances fugaces. Depuis quelques années, il s’est installé au Canada avec son épouse, Stéphanie. C’est donc cette dernière qui lui a inspiré ces douze titres qui apparaissent comme autant de célébrations heureuses d’une passion sans vraie faille. Et qui constituent son album le plus romantique, le plus dépouillé. Peut-être aussi le plus touchant venant d’un songwriter qui n’a pas toujours semblé disposé à exposer ainsi dans ses compositions une part aussi perceptible de son intimité. La forme – textes et musiques confondus – demeure très simple et très épurée. Il ne s’agit pourtant pas ici d’exprimer le Moins. Louris, bien heureusement, n’est pas de ceux qui justifient la vie de couple au long cours en arguant des compromis ou des renoncements inévitables qu’imposerait la cohabitation durable ou bien de la métamorphose progressive de la flamme initiale en un sentiment moins intense mais plus profond. Il reprend, avec une fraîcheur qui déconcerte mais qui émeut, toutes les figures imposées d’un discours amoureux qui n’a rien à envier dans sa fougue et dans sa ferveur avec celui d’un adolescent éperdument épris. Il n’imagine pas un seul jour loin d’elle. Elle est son soleil, son oxygène et il l’écrit. Tel quel. Sans mauvaise conscience ni fioriture. En creux, c’est ce qui permet justement de deviner que seul le contexte a changé. Il vieillit à ses côtés (Getting Older) et l’angoisse de la perte se teinte d’une intensité dramatique d’autant plus perceptible qu’elle n’est jamais surjouée : ce ne sont plus le désamour imprévu ou les rivalités qui guettent ; c’est la mort.
Pour conjurer cette ombre qui oblige à apprécier davantage chaque instant présent, on se rassure aussi en se reposant sur les références les plus fondamentales au passé commun que l’on conserve et qui permet aussi de tisser toujours un peu davantage les liens existants. Neil Young, beaucoup, en l’occurrence, quelque part entre After The Gold Rush (1970) et Harvest (1972) : les premières notes du disque où l’harmonica et la guitare résonnent à l’unisson au même rythme que Out On The Weekend ; le piano de By Your Side et cette même évocation de la province d’Ontario, comme un lointain clin d’œil au premier vers de Helpless. Tout cela finit par former un album de sentiments mêlés, où le bonheur d’être ensemble l’emporte de haute lutte sur toutes les formes d’entropie. Un album qui ne paie pas toujours de mines, qui exige peu mais donne beaucoup. Comme un bel amour de seconde partie de vie.